My Broken Mariko
Tomoyo est dévastée. Mariko, sa meilleure amie, s’est suicidée à l’âge de 26 ans. Parents divorcés, violentée et abusée depuis des années par son père alcoolique, elle n’en pouvait plus de vivre. Tomoyo vient de se rendre chez elle avec une seule idée en tête : récupérer ses cendres pour la libérer du joug paternel.
Urne funéraire en main, cigarettes aux lèvres, yeux dans le brouillard et cheveux dans le vent, elle est hantée par l’omniprésence des souvenirs et l’absence pesante de son amie d’enfance. En tout début de deuil, Tomoyo vit cette perte avec fracas. En premier lieu, dans le déni : elle lui écrit, elle lui parle, elle la cherche. Et très vite la colère surgit. Tout revient à la surface avec fureur. Le suicide de son amie, elle ne l’a pas vu venir. Certes, elle n’allait pas bien. Elle souffrait. Beaucoup. Elle s’enfonçait progressivement dans la douleur. La victimisation et la reproduction inconsciente des horreurs passées l’enfermaient dans le cercle vicieux et destructeur de la souffrance. Alors, pourquoi Tomoyo n’a-t-elle rien vu venir ? Aurait-elle dû agir avant ? Aurait-elle seulement pu faire quelque chose pour aider son amie ? On ne le saura jamais. Elle non plus. Et la culpabilité la rongera longtemps. Peut-être toujours.
Sorti de nulle part il y a tout juste un an au Japon, écrit par une jeune autrice alors inconnue, My Broken Mariko est de ces surprises qui bousculent le marché. Il existe plein de manières de parler du deuil, de violences domestiques, d’inceste. Waka Hirako préfère nous les balancer à la gueule par le biais de son héroïne dans la détresse. Porté par une liberté de ton et d’expression qui transcende une nouvelle génération d’autrices comme Miki Yamamoto (Sunny sunny Ann !), Tomoko Oshima (Le Monde selon Setchan) ou Kabi Nagata (Solitude d’un autre genre), son road-trip est bouleversant. Amatrice de BD du monde et de cinéma d’auteurs, elle avoue ne pas se retrouver dans les blockbusters de cinéma et les shonen formatés. Éclectique, elle apprécie Frederik Peeters, Gipi, les sœurs Jillian et Mariko Tamaki, Moto Hagio, Takehiko Inoue et recherche « des héroïnes moins genrées, plus nuancées, qui ne sont pas dépeintes de manière conventionnelle ».
Sa ligne polymorphe épouse à merveille ses envies et intentions. Ayant puisé dans le passé de sa propre mère, la mangaka accouche dans une rage de forme et de fond. Ses dessins, gorgés d’expressivité, se déforment puis s’illuminent sous l’émotion. Son talent explose dans une lecture puissante, éprouvante, à la subtile gestion des sentiments grâce à un récit nerveux entrecoupé de respirations essentielles.
Tragique, intime, social, ce drame nous pousse dans un maelstrom émotionnellement violent. My Broken Mariko est de ces BD qui vivent en nous longtemps après leur conclusion. Les éditions Ki-oon sont lucides quant à la portée de cette œuvre tristement d’actualité et la publient dans un format agrandi à la belle jaquette gaufrée. Espérons que ce choix permette aux lecteurs de dépasser les clivages, comme c’est le cas avec leurs sublimes adaptations des Chefs-d’œuvre de Lovecraft par Gou Tanabe.
©Waka Hirako 2020 / KADOKAWA CORPORATION – Traduction : Alex Ponthaut
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