Elles sont trois. Elles sont belles, elles sont jeunes, canadiennes, elles sont à New York. Dani et Zoe, amies de lycée, se retrouvent pour visiter la ville au printemps de leur première année de fac, en 2009 ; Fiona, une camarade du cursus artistique de la première, se joint à l’aventure. « Avec toutes ces lumières, on se croirait en plein jour », s’exclame Zoe fascinée par les néons de Times Square.† Mais l’enthousiasme du premier soir laisse vite place aux tensions, et à la mélancolie. Car, en voyage, comment maintenir l’équilibre précaire d’une amitié tout juste sortie de l’adolescence, quand un troisième élément s’en mêle ? Un peu sale gosse, pleine d’avis tranchés, Fiona ne se prive pas de critiquer le programme touristique prévu par Dani, qui attendait ce voyage depuis si longtemps. Zoe, éblouie par le charme et l’assurance de Fiona, en délaisse son amie. Et quelle place reste-t-il pour Dani, quand ses compagnes de voyage se roulent des pelles dans les recoins des musées ou de l’auberge de jeunesse?

Après Skim (Casterman, 2008) et Cet été-là (Rue de Sèvres, 2014), les cousines Jillian et Mariko Tamaki, saisissent à nouveau leurs héroïnes à une période charnière, juste avant la vingtaine. Quand la moindre émotion peut tourner au drame, quand quelques jours de voyage suffisent à tout chambouler. Pas tout à fait adultes, plus des ados non plus, Zoe, Dani et Fiona explorent l’amitié – celle qui brise le cœur et bouleverse tout – la conscience de soi, leurs aspirations… et apprennent à poser des limites.

Le titre en VO, Roaming, fait autant référence aux errances de ces jeunes voyageuses dans la vie et dans la ville, qu’à l’itinérance des données de téléphone en pays étranger – le détail a son importance. Il en va de tout l’album : les choses les plus insignifiantes renferment mille symbole pour ces jeunes filles à l’aube de leur vie. Et la moindre phrase en contient des centaines. Les dialogues, parfois triviaux, parfois chargés de sens, sont diablement vivants.

Au noir et blanc des deux premiers albums du duo, Jillian Tamaki a ajouté du mauve et un beige rosé. Avec cette palette limitée et un trait courbe et régulier, elle fait des merveilles pour retranscrire l’excitation, la frustration, les découvertes – et l’énergie de New York, quatrième personnage du récit. Voilà 448 pages qui fourmillent de vie, et profitent d’une mise en page aérée et de cadrages variés et ingénieux. Gros plans sur la nourriture, vues panoramiques ou en contre-plongée des lieux emblématiques de New York, doubles pages riches en détails ou sobres et évocatrices… Des images splendides, qui nous plongent tout entier dans ce récit immersif, tendre et exaltant.