Nos corps alchimiques
Aniss et Sarah se retrouvent à la campagne, sur la demande de Camille. Cette dernière (ou ce dernier, Camille étant en transition) a eu avec les deux jeunes gens des relations compliquées, voire violentes, par le passé. Mais elle possède une aura singulière et puissante, un don rare pour pénétrer l’esprit et le coeur de l’autre. Qui pousse Sarah et Aniss à répondre à l’appel. Ils vont alors découvrir le grand dessein de Camille : par-delà le bien, le mal, l’homme et la femme, créer un nouvel être alchimique et organique…
Mais qu’est-il arrivé à Thomas Gilbert ? Le brillant auteur d’Oklahoma Boy ou des Filles de Salem s’est lancé ici dans un long poème graphique, métaphysique et ésotérique, à limite du lisible. Le texte assène de courtes sentences insondables telles des aphorismes de gourou propices à n’importe quelle interprétation. Exemples : « Aimons-nous de façon infinitésimale. » « Nourrissons-nous les uns les autres. Je suis toi, tu es moi. Nous sommes tous de minuscules liens ténus. » Etc. Thomas Gilbert a eu l’habitude de composer des personnages limites, aux visions hors normes ou dangereuses. Mais là, il mélange, dans un interminable huis clos, des parcours de vie accidentés – manque affectif durant l’enfance, angoisse maladive ne trouvant pas d’issue dans un art solitaire, trouble de l’identité non résolu – et y ajoute une obscure touche de fantastique pour aller au bout de cette idée de fusion des êtres dans une nouvelle ère mystique et biologique. On aurait parfois envie de se moquer des personnages, mais c’est tellement glauque qu’on ne peut pas.
Deux éléments frappent et créent un malaise ainsi dans le livre : si l’auteur ne tranche pas entre l’interprétation psychiatrique ou celle totalement fantastique (à la limite, pourquoi pas), il en rajoute dans le gore et le grand-guignolesque à la limite du supportable, avec une bonne dose d’automutilation et de manipulation psychologique. À tel point qu’on se demande bien où il veut en venir, car son époustouflante maîtrise graphique et sa science de l’écriture en BD montrent bien que Nos corps alchimiques n’est pas une oeuvre en roue libre. Ce qui rend cet album, franchement pénible à lire, doublement gênant.
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