Ô vous, frères humains
« Tu es un sale youpin », lance un jour un vendeur ambulant de détachant universel, bateleur bête et cruel, au jeune Albert Cohen. Pour l’enfant de 10 ans, c’est un choc, un déchirement, une remise en cause de son existence même. Il va errer dans la ville, se cacher dans des toilettes, se noyer dans ses larmes. Remâchant sans cesse ces mots empoisonnés, s’interrogeant sur sa place, imaginant la haine et le mépris dans le regard des autres.
Adolescent, Luz a lu Ô vous, frères humains d’Albert Cohen. L’année dernière, après la tragédie de Charlie Hebdo (dont il était le rédacteur artistique), il a exhumé et relu l’ouvrage. Et s’est laissé pénétrer par lui, au point de l’adapter en dessins. L’album est presque muet, donnant aux quelques phrases prononcées un poids terrible. L’auteur du formidable Catharsis habite merveilleusement l’espace : son trait protéiforme envahit les pages en se passant de cases, déroule ses hachures. Luz multiplie les trouvailles graphiques pour diffuser l’angoisse de l’enfant, restitue littéralement le mur de moqueries qu’il essuie, montre sa désintégration et son autodénigrement. Le désespoir, la culpabilité, la confusion sourdent de la bande dessinée. Laissant le lecteur admiratif, ému, et aussi interrogatif. Pas loin de suspecter un parallèle entre l’état psychologique du petit Albert, et celui de Luz, au lendemain des attentats.
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