On l’appelait Bebeto
Catalogne, les années 1990. Alors que Miguel Indurain rend fou de joie des milliers d’Espagnols lors de ses exploits sur le Tour de France, le soleil brûle les dalles de béton du quartier de San Pere, sur lesquelles s’affrontent des bandes de gamins dans des « triangulaires » de football. De cette ville industrielle déclinante des faubourgs barcelonais, on ne s’échappe guère. Les années scolaires s’égrènent jusqu’au jour où on frappe à la porte de l’usine. Insouciance de l’enfance, désirs adolescents, réalités décevantes du monde adulte : tout semble pour le moins tracé.
C’est dans cet univers que Carlos évolue. Privé d’un frère parti trop tôt, et dont le prénom résonne dans le cœur de leur grand-mère à chaque victoire du grand cycliste, l’ado vit ses étés au rythme des « triangulaires ». Pourtant, la régularité de ces instants va être troublée par la rencontre avec celui qu’on nomme « Bebeto », un garçon à part, dont la mère a depuis longtemps perdu l’esprit. Carlos et « Bebeto » vont nouer une relation à part, en partie motivée par l’émoi ressenti par Carlos à la vue de la cousine de Bebeto, Sorrow.
On connaissait le trait de dessinateur Javi Rey – Un maillot pour l’Algérie, Violette Morris… – et ses adaptations BD d’ouvrages littéraires – Intempéries, Un ennemi du peuple. Le voilà désormais auteur complet d’un ouvrage intimiste, un récit fictionnel inspiré de ses souvenirs d’enfance dans les franges industrielles de la capitale catalane. Il place son regard nuancé sur une époque, à la croisée de tranches de vie nimbées de nostalgie et des réalités qui n’invitent pas aux regrets : ainsi sont évoquées la génération des grands-parents, revenus d’exil, celle des parents qui ont du mal à joindre les deux bouts, enfin, celle des enfants qui veulent grandir trop vite. Heureusement, l’amitié de Carlos et de « Bebeto » ou les sentiments de Carlos pour Sorrow, s’épanouissent comme des fleurs au milieu du béton.
Son trait est une synthèse habile entre réalisme et ligne claire. L’équilibre entre le texte et le dessin est parfaitement maîtrisé pour cet auteur qui sait que la narration vient autant de l’un que de l’autre. On note le soin apporté au découpage et au chapitrage dans cet ouvrage qui se déploie sur quelque 150 pages. Enfin, on retrouve encore ce délicat équilibre dans la colorisation : si Javi Rey utilise des couleurs franches, elles ne sont jamais criardes et toujours texturées par un trait fin et des jeux d’ombres.
Javi Rey, par cet opus en tout point nuancé, qui suscite des émotions sans verser dans le pathos, s’impose comme un auteur complet et aguerri. Une vraie réussite pour cette première BD en solo.
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