Piments zoizos
Jean atterrit à La Réunion avec un projet : retrouver des traces de sa famille, là où il est né et a vécu ses premières années. Avant d’être confié aux services sociaux, qui l’envoient en Métropole : il fait partie de quelque 2000 « enfants de la Creuse », ces gamins placés dans des foyers hexagonaux, souvent à la campagne, dans le but officiel de les sauver de la misère d’outre-mer. Hélas pour Jean, quasiment aucune trace de leur famille d’origine ne reste sur l’île, eux qui ont reçu un nouveau nom en même temps qu’un nouveau toit.
Après avoir conté les Chroniques du Léopard avec Appollo, Tehem revient sur le drame des enfants oubliés de la Réunion, déplacés sur la période 1962-1984, à travers une fiction extrêmement bien documentée. Éclairé par Gilles Gauvin, historien et membre de la commission d’information sur les enfants de la Creuse, l’auteur, dans un style crayonné très vif et expressif, retrace trois itinéraires touchants. D’abord, le jeune Jean, déraciné et séparé de sa petite soeur à jamais, sans qu’il y comprenne quoi que ce soit. Puis Lucien, fonctionnaire tout juste affecté au Bumidom (placement professionnel de citoyens des DOM dans une Métropole ayant besoin de main-d’oeuvre – et bien raconté par l’album Péyi an nou de Jessica Oublié et Marie-Ange Rousseau) qui découvre les arcanes de l’aide sociale à l’enfance et ses errances (parfait intermédiaire pour le lecteur qui n’y connaît rien). Et enfin Jean devenu adulte, qui cherche ses racines. Le scénario est habile, la structure solide, et des infos plus techniques séparent les chapitres sous la forme de fausses pages de journal, astuce futée. Dès lors, on se laisse embarquer dans cette reconstitution poignante et bien équilibrée, qui pointe la cruauté d’une administration qui déchire des fratries, et d’un système hypocrite qui, sous prétexte de sortir des mômes de la pauvreté, les envoie devenir garçons de ferme, sans aucune perspective. Mais le talent de Tehem est aussi de faire la part des choses, de rester nuancé, de pas accuser de manière monolithique. Et son histoire n’en est que plus forte.
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