Red Ketchup, espion idiot et jubilatoire, raconté par ses créateurs québécois
C’est un anti-héros bouillonnant, un agent secret contre-productif, qui enquille les gaffes sans ciller. Né en 1982 au Québec, Red Ketchup reste relativement peu connu sous nos latitudes. Heureusement, la maison d’édition La Pastèque (qui publie notamment la série Paul de Michel Rabagliati) a récemment regroupé ses aventures dans une intégrale — dont le premier volume est récemment paru. Et, au vu du succès de cette réédition outre-Atlantique, il se pourrait même que le rouquin en costume bleu poudre, dont les aventures ont été interrompues au milieu des années 1990, reprenne bientôt du service. Afin de mieux connaître cette série culte au pays de la poutine, nous avons rencontré ses auteurs, les sexagénaires Réal Godbout (au dessin et au scénario) et Pierre Fournier (au scénario).
Qui est Red Ketchup ?
Réal Godbout : C’est l’agent fou du FBI : il est fêlé, extrêmement zélé, et toxicomane — par devoir et besoin. Il carbure à la gazoline, à l’antigel et aux pilules. Sa conception particulière de ses missions met souvent le Bureau dans l’embarras, même s’il agit par sens du devoir et patriotisme. Pour lui, tout le monde est suspect : les manchots [il en tue un nombre invraisemblable dans Kamarade Ultra], les communistes, les anciens nazis…
Pierre Fournier : Le FBI essaie d’ailleurs toujours de se débarrasser de lui en l’envoyant le plus loin possible : dans l’espace, dans l’Antarctique… Nous voulions faire une satire de la politique et de la société américaines, qui se cherchent des ennemis partout. Au commencement de la série, dans les années 1980, nous étions en pleine croisade anticommuniste.
Quels seraient les ennemis de Red Ketchup aujourd’hui ?
P. F. : Les terroristes plutôt que les communistes : nous en aurions probablement fait un vétéran de la guerre du Golfe et non du Vietnam. Nous nous moquions alors de l’Amérique de Reagan, mais nous aurions tout aussi bien pu le faire avec les États-Unis de George W. Bush. Red représente une Amérique profonde, très fermée sur elle-même.
Comment ce personnage est-il né ?
P. F. : Red Ketchup a été introduit en 1982 comme personnage secondaire dans la série Michel Risque [un héros naïf et maladroit dont les aventures étaient publiées dans le magazine Croc ; La Pastèque vient aussi d’en assurer la publication intégrale], car nous avions ponctuellement besoin d’un agent du FBI intransigeant. Les lecteurs l’aimaient beaucoup, mais nous l’avons tué après quelques épisodes… avant de le ressusciter.
R. G. : Red Ketchup a d’abord eu ses propres aventures dans le magazine Titanic, puis en alternance avec la série Michel Risque dans le magazine Croc. La forme du feuilleton — quatre pages par mois — obligeait à de nombreux rebondissements : on ne pouvait pas se permettre d’avoir des scènes contemplatives ou de bagarres trop longues, pour ne pas égarer le public. Et il fallait un cliffhanger haletant à chaque fois.
P. F. : Il fallait aussi développer des personnages secondaires riches, avec de vraies histoires, comme Sally, la sœur branchée de Red Ketchup, Otto Künt, l’ancien nazi, ou Olga Dynamo, la « surfemme » communiste…
Red Ketchup a-t-il été considéré comme trop violent ?
P. F. : Certains nous ont reproché cette violence, mais je ne suis pas d’accord, il n’y aucune complaisance dans Red Ketchup. Dans les années 1980, la série se voulait une charge satirique contre les films d’action idiots. On voyait des affiches avec un héros de face en contre-plongée tenant une arme surdimensionnée [une bonne partie de la filmographie d’Arnold Schwarzenegger, par exemple].
R. G. : Red Ketchup nous a aussi été inspiré physiquement par Jack Lord, le personnage de la série télé Hawaii police d’État [au menton légèrement proéminent et à la mâchoire virile]. Et par un personnage du film Brewster Mac Leod de Robert Altman, à savoir un super-flic idiot, au costume toujours impeccable — comme celui de Red Ketchup.
Quelles furent vos influences graphiques et narratives ?
R. G. : Il y eut d’abord l’œuvre d’Hergé, qui a beaucoup marqué mon enfance. Pendant mon adolescence rebelle, ce fut Robert Crumb. Puis le Néerlandais Joost Swarte, qui m’a permis de faire le lien entre la ligne claire et un contenu plus alternatif, un peu fêlé.
P. F. : Pour moi, c’était l’underground américain, les comic books, les recueils de Spirou, les films de série B, et des romans policiers comme ceux de Raymond Chandler.
Comment travaillez-vous ensemble ?
P. F. : Étant tous deux dessinateurs, nous n’aimons pas utiliser un scénario tout prêt : nous préférons réaliser un découpage en nous laissant une marge d’improvisation. Pendant toutes ces années de travail sur Red Ketchup, nous nous sommes vus une fois par mois afin d’imaginer les quatre pages du prochain épisode. C’était une sorte de conversation.
Red Ketchup est culte au Québec. Quel accueil a-t-il reçu en France ?
P. F. : Dargaud a publié trois albums dans les années 1990 et on n’en a plus entendu parler… Lors de séances de dédicaces, les inconditionnels français venaient parfois avec des éditions québécoises !
Qu’en est-il d’une éventuelle adaptation cinématographique ?
P. F. : On nous l’a souvent proposée. Il y a dix ans, le projet a même franchi la barre du casting, mais il s’est arrêté avec la mort du réalisateur, le québécois Richard Boutet [auteur notamment du documentaire Sexe de rue, primé au Canada en 2003]. Actuellement, nous sommes en discussion avec trois réalisateurs ou maisons de production. Mais nous souhaitons avoir un droit de regard sur le scénario, voire y participer.
Dans vos rêves les plus fous, qui pourrait jouer Red Ketchup ?
P. F. : Jean Dujardin… ! Il n’a pas vraiment le physique, mais il est capable de se transformer. Qu’il n’hésite pas à nous contacter via les éditions La Pastèque ! Nous verrions bien aussi Sharon Stone dans le rôle d’Olga Dynamo, ou Jacques Dufilho dans celui d’Otto Künt, par exemple.
Pourquoi les aventures de Red Ketchup se sont-elles arrêtées ?
P. F. : Quand le magazine satirique Croc s’est arrêté, en 1995, Safarir a voulu reprendre les aventures de Red Ketchup. Mais il s’adressait à un autre public, plus adolescent. Nous y avons publié une histoire complète en noir et blanc de Red Ketchup, en nous éloignant de la formule originale. Après une nouvelle tentative, notre collaboration s’est terminée.
Red Ketchup a donc laissé sa carrière en suspens au milieu du neuvième album. Que va-t-il advenir de lui ?
P. F. : Nous allons d’abord préparer la parution de la suite de l’intégrale, puis nous continuerons ses aventures. Dans l’épisode interrompu — baptisé Élixir X —, le docteur Künt cherche la fontaine de jouvence, et invente une crème qui transforme ses utilisateurs en meurtriers ! Sally Ketchup l’essaye, et devient encore plus dangereuse que son frère…
Avez-vous d’autres projets ?
R. G. : J’ai adapté L’Amérique (ou Le Disparu) de Franz Kafka, pour La Pastèque. J’enseigne aussi la bande dessinée [à l’École multidisciplinaire de l’image de l’Université de Québec en Outaouais] depuis une douzaine d’années, ce qui m’occupe beaucoup. Et puis je réponds à des commandes d’illustration de temps en temps. Dans le monde de la BD, il faut être polyvalent !
P. F. : Je vais faire un ouvrage autour de Capitaine Kébec [personnage phare de la bande dessinée québécoise, créé par Pierre Fournier dans les années 1970] et de l’évolution de la bande dessinée québécoise depuis les années 1970 avec La Pastèque. J’écris aussi beaucoup pour la télé. Et je suis un spécialiste de science-fiction et de cinéma d’épouvante — et plus particulièrement de Frankenstein, auquel je consacre un blog.
Propos recueillis par Mélanie Monroy
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Red Ketchup, l’intégrale – volume 1
Par Réal Godbout et Pierre Fournier.La Pastèque, 26,50€, août 2012.
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Images © La Pastèque — Photo © Mélanie Monroy pour BoDoï.
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