Samplerman, remixeur de comics
Non, Samplerman n’est pas un hipster tout juste diplômé des Arts Décos, qui aurait conquis la planète de l’illustration en trois collages et deux dessins. De son vrai nom Yvan Guillo, Samplerman est un auteur multiforme issu de la BD alternative, dont les collages audacieux à base d’extraits de vieux comics ont attiré l’attention. Notamment de l’École européenne supérieure de l’image d’Angoulême, qui lui a remis son prix 2019 et qui l’a honoré d’une exposition visible lors du dernier Festival. Notre rédacteur Maël Rannou le connaît bien, puisqu’ils ont créé un livre ensemble et qu’il a publié certains de ses travaux dans Gorgonzola. Pour BoDoï, il l’interviewe sur les origines, le présent et le futur de Samplerman.
Avant d’être Samplerman, tu es Yvang, voire Julie Ja. Comment vis-tu ces entités multiples et pourquoi en avoir créé d’aussi diverses ? Sont-elles condamnées à rester cloisonnées ?
Nous vivons sous l’emprise des marques, basée sur un réflexe pavlovien qui pousse à associer dans l’esprit des gens un univers particulier à un nom. Je n’ai pas vraiment cherché à être Samplerman (nom que j’avais d’abord choisi pour tagger ces collages de comics) plutôt qu’Yvang, mais ça délimite et ça réduit les malentendus, notamment dans le cas d’une commande. Je réalise différentes sortes de travaux que je signe différemment selon leur style ou la technique. Je ne signe pas vraiment d’ailleurs, c’est plutôt la maison, la boutique (blog ou réseau social) où je les mets en vitrine qui avance ces identités. Le blog de Julie Ja, qui date d’il y a une quinzaine d’années, laissait supposer que les récits étaient dessinées par le personnage qui évoluait dans les planches, c’était considéré comme un présupposé lorsqu’a eu lieu cette floraison de blogs BD, ce qui a donné lieu à beaucoup de canulars similaires. D’ailleurs, à l’époque, c’était le blog de Frantico qui m’avait donné envie de faire pareil. Mes dessins-collages peuvent se rencontrer de temps en temps dans mes images, il n’y a pas de restriction a priori, mais j’ai encore un peu de scrupules à mélanger mes pauvres dessins avec les pépites que je déniche issues de l’époque classique des comics.
On voit dans le parcours de Samplerman, né vers la fin 2013, des proximités avec de nombreux découpeurs/colleurs artisanaux comme Fredox, Kristau ou Véro Sénéchal.
Ce sont mes meilleurs amis et ils sont super talentueux, alors évidemment il y a proximité. J’ai toujours publié leurs travaux dans mon fanzine Crachoir. Et si je feuillette les numéros, je crois qu’il n’y en a pas un seul où je ne fais pas du collage au moins sur une page. Le collage avec des photocopies de photocopies de flyers pour un concert de Screaming Jay Hawkins par exemple, ou des personnages issus de pockets en noir et blanc, type Artima ou Elvifrance. Il y a même déjà l’usage de la symétrie appliquée à mes propres dessins. J’ai longtemps cru que mon outil de prédilection était le dessin au pinceau et à l’encre de chine. Ma proximité avec des spécialistes et virtuoses du collage comme Fredox et ses compositions inépuisables me laissait penser que je devais me cantonner à mon domaine, la bande dessinée. Mais ma pratique quotidienne de Photoshop, ne serait-ce que pour la colorisation, m’a apporté une certaine aisance dans le triturage expérimental d’images. Si l’on ajoute à cela la quantité grandissante de matériaux graphiques anciens, de toutes sortes, découverts sur le net et prêts à être réutilisés, qui passait sous mon nez, mon point de vue a changé.
La sauce Samplerman a vite pris, se nourrissant d’une énorme base de comics libre de droits. Si l’ensemble est fascinant, on pourrait se lasser de collages semi-abstraits. Comment abordes tu les pages pour ne pas toujours répéter les mêmes choses ? Je pense notamment à tes fanzines « thématiques » (Ocmics autour de la lettre O, Street Fight comics…)
Ce sont les chocs ou coups de cœur visuels qui me donnent envie de continuer. Ce sont les éléments que je découvre, prélève, détoure qui semblent demander à vivre de nouvelles aventures, alors je m’exécute et je compose. Je suis conscient du fait que le processus peut devenir répétitif mais je suis encore dans l’enthousiasme de la découverte de (vieilles) choses nouvelles. J’ai baissé les bras, momentanément, en 2014. Je m’étais remis à dessiner comme avant parce que je pensais avoir fait le tour de la question, mais je n’avais pas encore découvert le Digital Comics Museum, ainsi que d’autres sources, je dirais même d’autres filons. Évidemment il est possible qu’à un moment donné tout finisse un peu par se ressembler. J’espère que je serai capable de me sortir de ce piège avant que la sauce ne tourne… à vide.
Tu évoques mes mini-comics qui sont créés autour de concepts particuliers, cela fait partie des façons de considérer le matériau sous un aspect à chaque fois différent. Je me suis pas mal amusé avec les gabarits, ce qui est un travail complémentaire du collage dans le contexte de la page. L’animation me permet de faire bouger mes collages: j’ai profité de la commande d’une pochette par le groupe La Terre Tremble !!! pour leur proposer dans la foulée une vidéo sans vraiment savoir si je serait capable de la mener à bien. Le livre pop-up, les jeux sur la forme livre… il me reste plein de choses à explorer ! Et je n’ai pas assez de temps pour moissonner tout ce que le net met à disposition. Mais j’essaye de continuer à remplir un réservoir d’échantillons graphiques tout en produisant, un peu inconsciemment, un flux de pages ou de strips que je publie régulièrement.
Ton travail de sample t’a valu une soudaine renommée, beaucoup pensent que tu es un jeune hipster né avec Samplerman… Comment as-tu vécu de te retrouver soudain démarché par de nombreux éditeurs, à publier plusieurs livres en quelques années ou à travailler pour DC Comics et Picsou Magazine ?
Je ne savais pas que j’étais considéré comme un jeune hipster ! Es-tu sûr que ça ne sort pas de ton imagination ? Oui je porte la barbe. Mais je suis plutôt un vieux hippie chauve. Ou alors si cette perception a une raison d’être, ce serait parce qu’à un moment donné Tumblr était « hip » mais c’est déjà du passé. J’espère que mes collages ne contribuent pas à la gentrification des quartiers populaires ni à l’ouverture de Starbucks et de bars à sushis ! J’ai évidemment adoré me retrouver démarché par des éditeurs ou des revues. Je ne demande qu’une chose, c’est de travailler. Et j’ai déprimé pendant des années parce que tout le monde se tamponnait de ce que je faisais. Donc je suis très très content. Seul problème, comme je ne dis presque jamais « non », je me retrouve parfois sous pression avec trop de boulot pour une seule personne et peu de temps devant moi. J’ai encore des progrès à faire question organisation.
On crée parfois des liens entre tes travaux et d’autres expérimentations comme les Abstracts comics ou le fascinant 978 de Pascal Matthey. Regardes-tu ces travaux ?
Avec le plus grand intérêt ! Je vois des connexions avec plein de gens. Ilan Manouach, François Henninger qui a fait un petit livre Rip ou il triture des strips de Rip Kirby, Andrew Venell, Martin Vitaliti, Jochen Gerner. Je ne cite même pas les artistes des décennies antérieures. La pratique du collage dans l’histoire de la bande dessinée est assez marginale, mais il y a des exemples frappants qui m’ont marqué très tôt. J’oublie souvent de citer Fred, énorme influence pour moi aussi en tant que dessinateur, qui a tellement pratiqué le collage et l’emprunt de vieilles gravures dans la continuité de Max Ernst.
Après cinq ans de Samplerman, quel est ton rapport au dessin ?
Je dessine encore pour le strip que je publie dans le journal local de ma commune, Le Palais, sur Belle-Île, mais je dois admettre que je dessine moins qu’avant. Je remplis moins de carnets, je noircis moins de pages. Mais c’est une question de temps, pas d’envie. Mon appareil photo est tombé en panne et je ne l’ai pas encore remplacé. Si quelque chose m’interpelle en bas de chez moi, je le dessinerai si je veux en garder une trace. Le dessin me manque un peu, c’est donc toujours un plaisir d’y revenir.
En janvier, tu as reçu le prix de l’EESI, l’École européenne supérieure de l’image d’Angoulême. À cette occasion, l’artiste primé a toujours une exposition montée avec les étudiants. On critique souvent les expositions de BD qui se content d’accrocher des planches originales : dans ton cas, il n’y en a aucune…
L’exposition telle qu’elle est montée résulte de ma rencontre avec les étudiants et les responsables de l’expo, dans le cadre d’un workshop de scénographie. J’avais apporté les tirages de mes pages dans le format optimum et toutes mes publications. Les tirages ont été présentés très simplement, punaisés sur les parois, sans cadre. J’avais envie de présenter des mobiles de mes samples. La situation très lumineuse de la grande verrière du hall de l’école n’était pas idéale pour projeter mes vidéos, mais le lieu a amené l’idée de transparence (pour les mobiles notamment) et de projection par les rayons du soleil. Je suis content du résultat, et je pense explorer encore ce coté « vitrail » dans un avenir proche.
Tu me disais il y a quelques mois que Samplerman allait sans doute baisser en activité. Ce prix, la participation à la résidence Chi Fou Mi et cette exposition ne semblent pas aller en ce sens. Samplerman en reprend pour cinq ans ?
Je dis parfois des choses qui sont des impressions sur le moment et qui se révèlent fausses. La vérité est que je n’en sais rien. Je ne vois pas venir un gros ras-le-bol de Samplerman dans un futur proche. Je remarquais sans doute une baisse d’intérêt pour Samplerman qui, n’étant plus une nouveauté, accusait une raréfaction des commandes, me laissant du temps libre que j’aurais de toute façon mis à profit pour avancer d’autres projets (sous d’autres identités ?). J’ai vu une sorte de pic des demandes vers la fin 2017 où je me suis retrouvé à bosser sur cinq commandes en même temps – dont deux ont échoué, parce que je ne pouvais peut être pas donner mon maximum – et ensuite le nombre de demande a semblé décliner. C’était avant le prix et de nouveaux projets… Donc, pour l’instant, ce n’est pas fini…
Propos recueillis par Maël Rannou
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Bibliographie
- Ocmics (2018, auto-édition)
- EIIDIDIIE (2017, auto-édition)
- Bad Ball (2017, Kuš!)
- Prurit IV (la méga nique du je) (collectif ; 2017, Factotum)
- Gorgonzola 22 (collectif ; 2017, L’Égouttoir)
- Gouffre (collectif ; 2017, Revue Lagon)
- Miscomocs Comics (2017, Le Dernier Cri)
- Fearless Colors (2016, Kuš! / Ediciones Valientes / MMMNNNRRRG)
- Street Fights Comics (2016, auto-édition)
- Samplerman (2015, Brain Dead and SHQ)
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