Schappi
Un reptile, artiste richissime et dictateur du bon goût, terriblement puissant, se délecte du pathétique spectacle des prétendants plasticiens au pied de sa montagne. Au 42e Sommet des animaux, le président souris, raciste patenté, est assassiné par le chef Crocodile qui en pince pour la princesse Serpent. Tandis que tout le monde crache sur les hyènes et dénigre les poissons. Dans d’autres lieux et d’autres pages, voilà un troublant ballet d’autruches, un lièvre aventurier devenu poète (et très fort aux dominos) au pied du Mont Fuji, ou une belette dépressive qui aimerait être dessinatrice…
Bienvenue dans le monde acide, gentiment trash et surréaliste d’Anna Haifisch. Lauréate du prestigieux prix Max und Moritz de la meilleure autrice allemande 2020, elle revient après deux tomes remarqués de The Artist, pour un recueil des plus déstabilisants. Ses histoires courtes se déploient dans de pleines pages aux couleurs flash, augmentées d’un texte en-dessous, donnant tout le piment à une scène insondable sinon. Dessinatrice épatante, l’Allemande se plaît à faire trembler son trait, à réduire l’expression de ses personnages au minimum de l’hébétude, à jouer avec le vide dans ses grandes pages. Pour susciter le malaise, le mystère, le rire voire l’effroi. Car, évidemment, à travers ses figures animalières – parmi lesquelles elle prend soin de choisir les moins mignonnes (hyène, poulpe, putois…) – ce sont bien les humains et leurs éternels travers qui sont égratignés. Vanité, xénophobie, goût pour l’humiliation des faibles, la liste pourrait être longue. Mais il faut garder une pointe d’humour, et par la pagination réduite de ses récits, Anna Haifisch y parvient, même si cette accumulation de formes courtes pourra frustrer et lasser un brin.
On garde néanmoins une impression positive de ce drôle d’ouvrage, par le soin apporté à sa fabrication par les éditions Misma. Un grand livre aux teintes insolentes, qui sent bon l’encre et le non-sense trash, on ne peut gère passer à côté.
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