Science-fiction en BD: quoi de neuf dans le futur?
Intelligence artificielle, changements climatiques, bioéthique, crises énergétiques… La liste des thèmes abordés par la bande dessinée de science-fiction ressemble aujourd’hui à s’y méprendre aux titres du journal de 20 heures. À l’occasion de la sortie du tome 2 de Meteors, de Fred Duval et Philippe Ogaki, nous republions notre article consacré à la science-fiction, paru dans BoDoï 122 version numérique. Avec une question centrale: sommes-nous déjà dans le futur ou les auteurs ne parviennent-ils plus à se projeter dans les prochains siècles ?
Quoi de neuf depuis Valérian de Jean-Claude Mézières et la trilogie Nikopol d’Enki Bilal ? Pas grand-chose, affirmeront les nostalgiques de la science-fiction d’antan. Toutefois, des séries récentes comme le space opera Sillage ou le fascinant Complexe du chimpanzé tendent à prouver le contraire. «La bande dessinée française de science-fiction se porte bien, affirme Fred Duval, créateur de Carmen McCallum, Travis ou du récent Meteors (Delcourt). Le genre s’est relancé au début des années 90 avec Aquablue de Thierry Cailleteau et Olivier Vatine, et des auteurs de ma génération comme Jean David Morvan. Nous avions le même bagage littéraire, nous nous intéressions aux mêmes problématiques. Quelque chose a germé de cette émulation.» De son côté, Jean-Michel Ponzio, dessinateur du Complexe du chimpanzé (Dargaud) et de Genetiks (Futuropolis) – scénarisés par Richard Marazano – , trouve que la SF contemporaine a perdu de son intérêt. «Elle reste un genre underground, qui fait peur. L’heure est plus à l’humour et à la fantasy.»
Au-delà des effets de mode, l’impression subsiste que les thèmes abordés par les récits de ces dernières années (robotique, voyages galactiques…) n’ont pas beaucoup évolué. «La science-fiction est essentiellement littéraire, dans le sens où les véritables inventions naissent d’abord dans les romans, explique Olivier Noël, responsable de la rubrique critique dans la revue de SF Galaxies. Et, depuis les années 80, aucun concept révolutionnaire n’est apparu.» Ce que confirme Stéphane Beauverger, romancier (Chromozone, Le Déchronologue) et scénariste de BD (Quartier M, une série abandonnée par Dupuis): «Il y a aujourd’hui une vraie difficulté à imaginer des futurs possibles. Beaucoup d’auteurs et de lecteurs ont déjà l’impression de vivre dans un univers de science-fiction : à la télé, des voitures se transforment en robots, les jeux vidéo – dont l’industrie est en train de dépasser celle du cinéma, en termes de chiffre d’affaires – sont habités par des thématiques futuristes… Les auteurs ne se projettent plus qu’à court terme et se concentrent sur des problèmes plus sociétaux et contemporains.»
ROBOTS ET FUSÉES
Fred Duval reconnaît à demi-mot le manque de prospective, quand il précise que le scénario de Meteors a été conçu à partir «de petites idées mises de côté durant quinze ans». L’auteur avait néanmoins développé dès les années 90 le sujet des nanotechnologies, machines microscopiques travaillant pour l’homme à l’échelle de l’infiniment petit. Une veine qu’il continue d’explorer dans Meteors. «L’idée est que, devant le développement des robots, l’homme réalise qu’il n’est plus la seule intelligence sur Terre. Est-ce un espoir ou un danger ? Dans Meteors, les humains ont décidé démocratiquement de se placer sous la domination des robots, qui semblent les seuls à pouvoir résoudre les problèmes de la planète.» Un thème au moins aussi vieux que 2001 : l’odyssée de l’espace (1968), qui trouve toutefois une véritable résonance contemporaine avec l’émergence de la robotique domestique. Mais on reste loin d’une révolution qui en mettrait plein les mirettes…
Même chose pour le sujet des vols spatiaux : pas grand-chose de neuf sous les étoiles. «L’esprit pionnier de la conquête spatiale des années 60 est terminé, constate Fred Duval. Aujourd’hui, il n’y a plus vraiment de projets de conquête spatiale, ni d’investissements conséquents dans la recherche. On est donc obligé de totalement fantasmer cette idée.» Et de regarder vers le passé : dans Meteors comme dans Le Complexe du chimpanzé, on croise, incroyable hasard, des cosmonautes soviétiques rescapés (ou pas) de la course à la Lune…
HARD SCIENCE
Le genre SF se heurte par ailleurs à l’extrême technicité de certains domaines, qu’il est malaisé de traiter dans le format étroit des albums de 46 planches. «C’est quand la science-fiction aborde des sujets vertigineux qu’elle est la plus forte, souligne Olivier Noël. Mais il faut de la place pour développer les concepts.» Fred Duval souligne cet écueil: «On part avec un handicap, celui d’expliquer les technologies. Mais l’équilibre est précaire : si on est trop didactique sur des thèmes déjà connus des amateurs de SF, on risque de les lasser ; et si on compte sur la culture des lecteurs, on lâche le grand public.» Philippe Buchet, dessinateur de Sillage, abonde dans ce sens. «À trop vouloir crédibiliser la SF, on tombe dans ce qu’on appelle la « hard science », une SF basée sur des extrapolations scientifiques très précises. Celle-ci s’adresse à un lectorat très pointu et fait prendre aux auteurs le risque de commettre des erreurs.»
Le space opera façon Star Wars, qui se veut avant tout un divertissement mélangeant humour et aventure, ne peut s’encombrer d’un bagage théorique trop important. Jean David Morvan a réussi à surmonter cette contrainte et à faire de Sillage une saga didactique, s’adressant à tous les publics et ancrée dans les réalités du moment. Terrorisme, corruption, toxicomanie, racisme : toutes les thématiques de la fin du XXe siècle et du début du suivant y sont intelligemment exploitées. Dans le onzième volume, les auteurs de Sillage se permettent même de se concentrer sur une planète réticente au progrès, calquée sur le Japon médiéval. Encore de la SF qui regarde vers le passé, en quelque sorte, avec un résultat convaincant.
DESSINER LE FUTUR
Au-delà des sujets proprement dits, la SF dessinée est un champ d’exploration jouissif pour les designers de tous poils. Vaisseaux titanesques, extraterrestres délirants, planètes improbables, tout est à inventer. «Quand je lis des romans de science-fiction, des images me viennent tout de suite, explique Philippe Buchet. À partir de descriptions parfois très abstraites, je construis peu à peu des objets complètement inédits. Je travaille aussi à partir d’images de design électroménager ou automobile. En SF, on peut inventer des objets qui ne ressemblent pas du tout à leur fonction et concevoir des vaisseaux hors de toute contrainte aérodynamique. Il faut laisser aller le crayon.» Loin du bestiaire coloré de Sillage, Jean-Michel Ponzio a opté pour un trait réaliste sur Genetiks et Le Complexe du chimpanzé. Un choix logique, car les deux histoires se déroulent dans un futur relativement proche, sur une Terre ressemblant à la nôtre aujourd’hui. «J’essaie d’être le plus cohérent possible, tout en apportant à chaque livre quelque chose de nouveau dans ma façon de dessiner. Mais le risque avec les expérimentations, c’est d’être trop avant-gardiste et de laisser le lecteur de côté.»
Chaque album lui demande environ un mois de préparation, pour la recherche sur les décors et la photographie de comédiens en situation, qui lui serviront ensuite à camper ses protagonistes. Puis il s’attaque au dessin en suivant une organisation millimétrée: «Je trace d’abord toutes les cases, puis j’intègre les textes. Viennent ensuite les décors, ainsi que les personnages. Et enfin l’encrage et la colorisation que je réalise en même temps.» En trois mois environ, il a bouclé un album. Pourtant, Jean-Michel Ponzio n’est pas un robot.
Benjamin Roure
En complément de cet article, on pourra lire:
– le point de vue de Richard Marazano, sur la science, la fiction et le mélange des deux.
– les cinq albums de février-mars qui évoquent un futur inquiétant
Images © Delcourt – Dargaud
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Faudrait pas oublier Bajram.
Universal War One (Bajram, chez Soleil) est LA série de SF qui prouve que le genre n’est pas perdu en BD…
Ou encore L’étoile du chagrin, chez Çà et là, sf postapocalyptique entre MAD MAX et le Seigneur des anneaux…C’est beau de vouloir parler de SF, mais faut pas oublier aussi le travail sur le mutafukaz 0 qui est un hommage à la SF des années 50, celle qui donnait à lire à tous des trucs qu’on voyait pas ailleurs…
See ya !!
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Faudrait pas oublier Bajram.
Universal War One (Bajram, chez Soleil) est LA série de SF qui prouve que le genre n’est pas perdu en BD…
Ou encore L’étoile du chagrin, chez Çà et là, sf postapocalyptique entre MAD MAX et le Seigneur des anneaux…C’est beau de vouloir parler de SF, mais faut pas oublier aussi le travail sur le mutafukaz 0 qui est un hommage à la SF des années 50, celle qui donnait à lire à tous des trucs qu’on voyait pas ailleurs…
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