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Sélection Comics – Human Target

25 mars 2024 |

Human-Target-couvTom King nous refait le coup de la rumination métaphysique planquée sous un récit de superhéros bariolé. Et c’est une nouvelle fois époustouflant. Le scénariste du brillant Mister Miracle décide ici de se confronter à ses propres angoisses de mort. Et quoi de mieux pour cela que de ressusciter la Cible Humaine, sous-James Bond du catalogue DC spécialisé dans les missions suicide ? Un roman (graphique) noir tout entier travaillé par l’inéluctabilité de la fin, superbement mis en images par Greg Smallwood.

Dans une autre vie, Tom King était agent de la CIA. Il aurait tout aussi bien pu être psychothérapeute. Dans ses scénarios, les habituels taiseux consentent enfin à laisser leur langue se délier et leur cœur parler. Et dans l’univers des superhéros, où l’on s’exprime par l’action plus que par le verbe, ses histoires détonent. Dans Heroes in Crisis, il mettait en scène un confessionnal à justiciers dans lequel affleurait le mal être de ces hommes et femmes chargés de défendre la veuve et l’orphelin même en cas de coup de moins bien. Dans l’incroyable Mister Miracle, son chef d’œuvre, le fuyant Scott Free acceptait, grâce aux salutaires discussions avec sa compagne Big Barda, de faire face à ses responsabilités de héros mais aussi de compagnon et de père. Manifestement travaillé par son propre vieillissement et ce qui l’attend au bout du chemin, King envoie cette fois au casse-pipe, pour les besoins de sa propre catharsis, un personnage dont c’est justement la fonction première.

De son vrai nom Christopher Chance, la Cible Humaine est une utilité du catalogue DC que l’éditeur, en fonction de ses besoins, ressort à intervalles réguliers de son frigo, depuis sa création par Len Wein dans les années 60. Un expert du déguisement que l’on engage pour se glisser dans la peau de clients menacés de mort afin de déjouer des tentatives d’assassinat. Le personnage a eu droit à une paire d’adaptations télé, souvent musclées, et totalement aux marges de l’univers DC, croisant rarement la route de ses figures tutélaires. human-target_luthor Ici au contraire, l’histoire commence alors qu’il accepte de se glisser dans la peau de Lex Luthor. D’un coup de feu destiné à l’éternelle némésis de Superman, il réchappe, fidèle à sa réputation. Mais le vil magnat de Métropolis était également visé par un empoisonnement et cela, Chance ne l’avait pas vu venir. Le voilà, lui, Cible Humaine touchée dans le mille, condamné. Dans 12 jours, il mourra. Ce n’est pas une figure de style. Il est même déjà mort quand débute l’ouvrage.

Les 400 pages qui suivent sont un flashback en forme d’enquête menée par Chance, égrenant les jours qui nous séparent de cet inexorable anti-happy end. Qui au juste pouvait bien en vouloir à Luthor ? À ce point, en tout cas ? Toutes les pistes mènent du côté de la Justice League International, active dans les années 90. Chaque jour – et donc chaque chapitre – sera consacré à tenter de cerner l’un de ses membres offrant à King et à son complice Greg Smallwood au dessin, autant de laboratoires de recherche narrative et graphique. Ici, de l’aventure trépidante aux côtés de Blue Beetle, l’homme le plus bavard du monde, le temps d’une journée type de vigilantisme stakhanoviste. Là, de l’introspection sous forme de flashbacks pas toujours dignes de confiance lors d’une rencontre forcément extraterrestre avec Martian Manhunter. Ou, sommet de l’album, un trip parano dans le désert façon La Mort aux Trousses, géniale variation autour de Batman.

human-target-poisonFil rouge de toutes ces histoires, un amour immodéré pour le film noir qui transpire à chaque case. L’ombre de Philip Marlowe plane sur cette affaire, qui reprend tous les codes du genre avec voix off, héros incorruptible porté sur la bouteille et femme fatale en la personne de la vénéneuse Tora Olafsdotter aka la superhéroïne Ice. Mais dans son allure comme dans sa manière de laisser ses sentiments s’exprimer, Chance évoque davantage l’interprétation 70’s qu’en donna Elliot Gould dans The Long Goodbye que celle plus renfrognée d’Humphrey Bogart dans Le Grand Sommeil. Une approche rétro moderniste, néo-noir donc, rehaussée par le trait 60’s et les couleurs feutrées à forte charge mélancolique d’un Smallwood au sommet de son art.

human-target_krakC’est sublime, extrêmement bien dialogué et, contre toute attente, pas si désespéré que cela. Car ce que l’on retient, comme Chance, ce sont les beaux instants suspendus qu’il aura eu le temps de vivre au cours de cette parenthèse fatale, telle cette baignade conclue par une farniente en amoureux sur un ilôt de glace généré par la reine des neiges Tora. Les beaux instants, dans cette Cible décidément trop Humaine, ce n’est pas ce qui manque.

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Human Target.
Par Tom King et Greg Smallwood.
Urban Comics, coll. DC Black Label, 424 p., 35 €.

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