Projet horrifique audacieux signé par un duo ultra-talentueux, Le Mythe de l’Ossuaire se présente sous la forme d’histoires indépendantes reliées par un fil rouge sang. Deux tomes sont déjà publiés chez Urban Comics. 

Avec Le Mythe de l’Ossuaire, Jeff Lemire et Andrea Sorrentino se sont fixé un programme ambitieux. Se frotter, selon leurs mots, à l’elevated horror, soit les films d’horreur d’auteurs proposés, entre autres, par les chefs de file par Ari Aster (Hereditary) ou Robert Eggers (The Witch). Un cinéma privilégiant les atmosphères et les sous-textes plutôt que le grand guignol et les jumpscares. Fort de leur idée audacieuse, les deux auteurs construisent ainsi un projet éditorial au long cours, dans des récits à la fois indépendants les uns des autres, et connectés de loin en loin par une mythologie commune.

Ce qui lie Le Passage, huis clos sur une île perdue visitée par un géologue, et Des milliers de plumes noires, récit sur deux passionnées de jeux de rôles confrontées à une érosion des frontières entre fiction et réalité, c’est une sorte de folklore morbide oublié, à base de divinités aviaires, plus ou moins explicitement abordé dans chacun des deux ouvrages. Lemire et Sorrentino en disent à chaque fois suffisamment peu pour qu’on puisse les lire dans l’ordre qu’on veut ou même faire des impasses. Mais pour le lecteur complétiste, on est certain que chaque détail semé ici ou là permettra de recomposer une plus vaste toile. Dix histoires sont pour l’instant prévues, dans des formats variés, la 3e ayant entamé sa vie éditoriale en VO au début de l’été sous la forme d’une mini-série.

Pour ce qui est des deux déjà publiées en français chez Urban, on y retrouve le talent des deux auteurs à créer des ambiances poisseuses voire carrément terrifiantes (le chapitre introductif du Passage, brrrrr….) comme déjà dans Gideon’s Fall ou dans leur Joker Killer Smile. Sorrentino n’a pas son pareil pour mettre en scène des cauchemars éveillés avec ses compositions vertigineuses, ses décrochages tordus avec jaillissements de couleur (à prédominante rouge sang !) et ses jeux de correspondance hallucinés. Ici le sous-texte psychanalytique est richissime, et le symbolisme omniprésent. Jusqu’à l’épuisement parfois. C’est le propre des projets à univers partagés de ce type : tous les segments ne se valent pas et si Le Passage est un quasi sans faute, sec et percutant, Des milliers de plumes noires s’enlise un peu dans les clichés et dans un flou artistique pas bien enthousiasmant.

Il y aura à n’en pas douter d’autres trébuchements mais aussi, c’est certain vu le talent des deux hommes, d’autres coups de maître dans ce cycle qu’on va de toute manière suivre de près. Rendez-vous on l’espère très prochainement avec la traduction du prometteur Tenement.

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Le Passage et Des milliers de plumes noires
Par Jeff Lemire et Andrea Sorrentino
Urban Comics, 128 p. / 19€, et 160 p. / 21€.

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