Sélection Comics : L’Oeil d’Ódinn
Arrêtez tout, on a sans doute lu la BD la plus époustouflante graphiquement de l’année, au rayon comics : L’Oeil d’Ódinn. Un conte nordique brillamment écrit par l’Américain Joshua Dysart qui devient, sous le crayon et le pinceau des Argentins Tomas Giorello et Diego Rodriguez, une fantasmagorie au scope impressionnant, pleine de bruit et de fureur, d’une beauté à couper le souffle…
Au cœur du territoire viking, la jeune et fragile Solveig devient du jour au lendemain l’objet de toutes les attentions. Alors qu’elle est frappée d’une crise de clairvoyance, Odin, le patron du panthéon nordique, s’adresse directement à elle. Que veut-il ? Ce n’est pas clair et pour savoir de quoi il retourne, elle devra se rendre à la montagne sacrée.
Prenant ses visions au sérieux, les pouvoirs tribaux locaux lui fournissent une escorte. À raison, les mauvaises rencontres ne manqueront pas. Au gré de cette épopée brutale, Solveig aura le temps de tout remettre en question. Le bienfondé de sa quête pour commencer : pourquoi l’avoir choisie, elle, fille de paysans, comme prophétesse ? Faut-il s’en réjouir ou bien est-ce une malédiction ? Sa raison aussi : est-elle seulement sûre qu’il s’agit de prescience, comme l’assure la sorcière/prêtresse Veleda, et pas juste de bouffées délirantes ? Jusqu’à son corps dont elle ne doute, prise parfois de crises de « berserk », une folie furieuse incontrôlable qui la fait même retourner ses coups contre ses alliés.
Ce flou général, le scénariste Joshua Dysart (Soldat Inconnu, Goodnight Paradise) l’entretient tout du long. Comme à son habitude ultra-documenté, l’Américain se garde d’aborder la mythologie nordique en exégète mais vient au contraire y puiser humblement en conteur sans frontière. Ce qui l’intéresse ici, c’est la fine lisière entre monde onirique et monde éveillé à laquelle erre en permanence Solveig, et celle tout aussi mince qui sépare ce qu’on a vu de ce qu’on a voulu voir. Remontant aux racines orales de la culture scandinave, Dysart laisse volontairement le texte parfois contredire l’image, les signes prendre le pas sur les énonciations et la poésie primer sur la narration linéaire. Ce faisant, il donne toute la place aux personnages, comme au lecteur, pour choisir ou non de croire.
Embrassant totalement le caractère baroque du matériau troussé par Dysart, Tomas Giorello opte pour un traitement bigger than life, à la George Miller, de cette fresque furiosa. Rendu IMAX garanti : remplies ras la gueule de compositions tonitruantes, superbement mises en couleur par Diego Rodriguez, les grandes pages du format à l’européenne proposé par Bliss en mettent plein les mirettes. Musclées comme du Conan, titre sur lequel a travaillé Giorello, ses planches ont en même temps la finesse d’un Rosinski (Thorgal, Le Grand Pouvoir du Chninkel). Décors spectaculaires, personnages expressifs, scènes d’action follement dynamiques et lisibles… Il n’y a rien qu’il ne sache faire à la perfection au service de l’histoire.
Même en choisissant de ne croire que ce qu’on voit dans L’Oeil d’Ódinn, au vu du travail de Saint Tomas, pas l’ombre d’un doute : on a affaire à un immense artiste.
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L’Oeil d’Ódinn.
Par Joshua Dysart, Tomas Giorello et Diego Rodriguez (coul.).
Traduction : Loup Salles.
Bliss, 168 p., 27 €, février 2024 (nouvelle édition à venir le 5 juillet).
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