Shin’Ichi Sakamoto, un mangaka en pleine ascension
Auteur déniché en France par Akata/Delcourt il y a 5 ans, Shin’Ichi Sakamoto a commencé avec des titres d’action et d’humour comme Kiômaru ou Nés pour Cogner. Décidant de donner un réel tournant à sa carrière, il s’est lancé dans un projet d’une autre envergure : Ascension. Dans ce manga, le héros, Buntarô Mori, se confronte aux plus hauts sommets du monde et à ses limites pour trouver goût à la vie. Nous avons rencontré Shin’Ichi Sakamoto, lors du dernier salon Japan Touch, à Lyon.
Votre dernier manga, Ascension, est un savant mélange entre l’énergie de vos anciennes séries et la contemplation de la nature. Est-ce ainsi dans le roman d’origine ou une envie de votre part?
Beaucoup d’éléments sont dans le roman. La nature est très présente et le côté effrayant de ces montagnes est omniprésent. Le héros se fixe des objectifs précis et progresse tout au long de l’histoire. J’ai donc réutilisé ces éléments indispensables et j’ai construit autour en y ajoutant ce que j’aime : le dépassement de soi et des personnages charismatiques. Il faut aussi savoir que cette œuvre est écrite en collaboration étroite avec des professionnels de l’alpinisme qui m’apportent beaucoup d’éléments, dont de la documentation.
Vous parlez de personnages forts, de goût de l’effort et de dépassement de soi. Est-ce également votre mode de vie?
Oui, clairement ! Ces thèmes sont très importants pour moi. Dans mes œuvres, j’écris surtout sur moi-même et je me mets en scène constamment.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’adapter ce roman de Jirô Nitta ?
Le héros me plaisait beaucoup. Car il décide tout par lui même. Il se moque totalement des conventions et des limites. Il suit ses passions, ses envies jusqu’au bout ! Il n’a besoin de personne ni de rien pour vivre dans cette œuvre. Je dirais même que c’est le héros qui construit le récit et non l’inverse.
Quelles sont vos références en termes de « récit d’alpinisme » ?
Si je lis des histoires sur la montagne, mes principales sources sont des alpinistes eux-mêmes qui ont atteint les plus hauts sommets sans oxygène. Celui qui m’a été le plus précieux, et celui duquel je suis le plus proche, est certainement Hirotaka Takeushi. On peut d’ailleurs lire à la fin des volumes d’Ascension des interviews et des informations sur ces hommes qui m’ont beaucoup aidé [voir le volume 4 pour Takeushi, ndlr].
Vous avez rencontré Jirô Taniguchi en octobre dernier. Avez-vous pu échanger sur votre travail et votre passion pour la montagne ?
C’était pour moi une grande chance de le rencontrer. J’adore le travail de Jirô Taniguchi et je trouve ses titres de montagne très forts. J’ai un grand respect pour cet homme qui, non seulement dessine la montagne avec brio, mais réussit aussi à transcrire la chaleur humaine dans ses planches. Ses dessins sont magnifiques : ils sont détaillés et il y a une présence, une force énorme dans chacune de ses pages.
Dans Ascension, Buntarô Mori se confronte régulièrement à ses limites pour trouver goût à la vie. Est-ce un simple enjeu scénaristique ou un message que vous voulez faire passer aux citoyens de nos sociétés surprotectrices?
Tout d’abord, il faut savoir que j’ai fait ce titre car j’aurais aimé vivre comme mon héros. Sinon, il est clair qu’il y a un message. Dans Ascension, je prends le temps pour vivre, je laisse mon héros apprécier le temps qu’il a à passer sur Terre. Dans notre société, on ne prend plus le temps de profiter de la vie. Buntarô Mori est un personnage qui part d’une situation difficile. Il va donc devoir se confronter à la douleur pour se sentir vivre et prendre réellement goût à la vie.
Votre graphisme monte en puissance au fil des volumes d’Ascension. Quelle est votre méthode de travail ?
Je travaille beaucoup et je redessine énormément. Je refais tout ce que je trouve non réussi jusqu’à ce que j’arrive à quelque chose qui me convienne réellement. Je n’arrive que très rarement à réaliser un dessin du premier coup. Je n’hésite pas à utiliser du blanc, voire à tout reprendre à zéro quand nécessaire. Mais j’adore dessiner alors ça ne me gène pas! J’apprends tout le temps de nouvelles techniques qui me permettent de progresser.
Pourquoi utiliser une teinte bleue pour illuminer vos couvertures ?
En quelque sorte, ce bleu est la couleur du cœur de Buntarô Mori. Lui qui est au départ seul et renfermé, va se trouver un but : l’alpinisme. Au fur et à mesure de son évolution et de son épanouissement, il se mêle à la société. Les couvertures évoluent et s’enrichissent d’autres couleurs.
Préférez-vous l’humour d’un Nés pour Cogner, ou la tragédie d’un Ascension ?
J’ai beaucoup aimé dessiner et écrire la série Nés pour Cogner. Je pense d’ailleurs que je me remettrais avant la fin de ma carrière à dessiner des œuvres d’action comiques. Seulement, à la fin de cette série, je me suis posé la question de la suite de ma carrière. J’ai voulu exprimer mes sentiments et mes envies de manière beaucoup plus claire et directe. J’ai donc rassemblé tout ce que je voulais dire et j’ai créé un manga intense dans lequel on s’immerge. Il est important pour moi que le lecteur ressente les choses, vive mon manga au lieu de simplement le lire. Pour ma prochaine œuvre, je souhaite continuer le chemin que j’ai ouvert avec Ascension.
Quel est votre parcours ?
Je dessine depuis tout petit et, à partir du lycée, je me suis dit que ce serait bien de trouver un travail dans lequel je pourrais dessiner. J’étais un gros lecteur du magazine Shônen Jump, mon rêve était d’y être publié. Seulement, au début, j’étais un bon dessinateur mais un mauvais scénariste: je créais des histoires en dessinant case par case sans réel scénario et j’avais de grosses difficultés avec les story-boards. Je dessinais donc sans trame précise. Je me suis tout de même présenté à un des concours organisé dans le Shônen Jump… et j’ai été classé deuxième ! Cela m’a encouragé et a confirmé mon engagement. Je me suis alors donné à fond, en commençant par travailler avec des scénaristes.
Les premiers volumes d’Ascension sont d’ailleurs écrits par Yoshio Nabeta et Hiroshi Takano (jusqu’au volume 4). Est-ce que vous ressentez encore le besoin d’un support scénaristique ?
Ces deux auteurs ont été des supports très importants pour moi. Vu que je voulais faire une histoire forte, je souhaitais que l’œuvre soit maîtrisée dès le départ. Au bout de quelques volumes, je me suis senti beaucoup plus à l’aise, je m’étais approprié le rythme. Une fois saisie l’intensité que je voulais mettre dans cette série, j’ai décidé de la prendre en main seul.
Quels sont les mangakas qui vous ont influencé ?
Il y a deux mangakas qui ont eu une importance majeure pour moi. Tout d’abord, Tetsuo Hara, le dessinateur d’Hokuto No Ken. J’aimais beaucoup son dessin violent et choquant. À mes débuts, mes dessins étaient énormément inspirés par les siens. Il y a aussi eu Yudetamago [pseudonyme de deux auteurs : Yoshinori Nakai & Takashi Shimada, ndlr], les mangakas qui ont créé Muscleman. S’il n’y avait pas eu ce manga, je pense que je n’aurais tout simplement jamais fait ce métier ! J’adorais le héros et sa façon de vivre pleinement sa vie tout en prenant soin de ses amis. Grâce à ces deux séries et leurs auteurs, je ne me suis jamais arrêté de dessiner: même en cours mes cahiers étaient remplis de dessins.
Avec Ascension, vous avez conquis le public, les critiques (Prix d’excellence au Japan Media Arts Festival en 2010), vos confrères et l’international. Ressentez-vous beaucoup de pression pour votre prochaine série?
Effectivement, je me mets une grosse pression, mais j’ai bien l’intention de faire encore mieux qu’Ascension. Je pense que je vais travailler à peu près de la même façon car je veux créer une œuvre aussi forte que mon dernier titre.
Avez-vous déjà un projet ?
Oui, j’ai déjà beaucoup d’idées sur lesquels je vais travailler avec mon éditeur. Et si tout se déroule comme je le souhaite, mes lecteurs risquent d’être très surpris ! Je ne peux en dire beaucoup plus pour l’instant, mais normalement je débuterai une nouvelle série dans le Weekly Young Jump [magazine où était publié Ascension, ndlr], un peu avant l’été 2012.
Vous étiez en octobre 2011 au Lucca comics (festival de bandes dessinées en Italie). Êtes-vous habitué à donner des conférences?
Normalement, en tant que mangaka, je suis toujours tout seul devant mon bureau. Ces rencontres sont des occasions rares et je suis très nerveux à chaque fois ! C’était la toute première fois que je faisais une master class sur une de mes œuvres. Mais cela reste une très bonne expérience car je trouve constructif de parler de son travail et très agréable de rencontrer les lecteurs qui aiment mon travail. Je savais que mes mangas étaient publiés dans d’autres pays, mais il est toujours surprenant et enthousiasmant de voir l’impact qu’ils ont sur les lecteurs !
Propos recueillis par Rémi I.
Merci à Shin’Ichi Sakamoto et ses éditeurs japonais, Pascal Ferrante (traducteur), Dominique Véret (Akata), Hideki Iyama & Ai Kono (Viz Media Europe), Kara et à l’équipe de la Japan Touch.
Images Kokoh No Hito © 2007 by Shin-ichi Sakamoto, Yoshio Nabata, Jiro Nitta / SHUEISHA Inc.
Photos © BoDoï
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Ascension #1-8 (série terminée en 17 volumes au Japon).
Par Shin’Ichi Sakamoto.
Akata, Delcourt, T8 le 14 mars en France, 7,99 €.
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Quelle belle rencontre j’ai fait également avec Shin’Ichi Sakamoto. Cette Master Class était vraiment interessante et la séance de dédicace intense en émotion. Merci pour cette interview 😉
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Quelle belle rencontre j’ai fait également avec Shin’Ichi Sakamoto. Cette Master Class était vraiment interessante et la séance de dédicace intense en émotion. Merci pour cette interview 😉
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Quel talent qu’ont les mangakas, c’est hallucinant.
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Plutôt joli comme dessin, je dois le reconnaitre.
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