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Sole Otero chasse le fantôme de sa grand-mère

2 mai 2022 |

Sole Otero 3Avec Naphtaline, la dessinatrice et scénariste argentine Sole Otero, en résidence à Angoulême, se livre avec brio à un exercice d’introspection familiale. Dans l’Argentine en crise de 2001, la jeune Rocio, qui ressemble beaucoup à l’auteur, part vivre seule dans une maison où elle se confronte au fantôme de son irascible grand-mère. Remontant le temps jusqu’aux origines italiennes de sa famille, l’auteure éclaire les choix et les errements des uns et des autres sans les juger. Une belle inventivité graphique et une grande fluidité narrative rendent passionnant ce récit intime et familial qui croise la grande Histoire.

Qui est Rocio, le personnage principal de Naphtaline ?

Pour moi, il y a trois personnages principaux : Rocio, sa grand-mère Vilma, et la maison. Rocio est le personnage qui me ressemble le plus, elle cherche des réponses pour comprendre le passé de sa famille et l’attitude de sa grand-mère. La maison est le lieu où tout se déroule, elle me permet de montrer ce qui se passe entre Rocio et Vilma à travers sa présence fantomatique dans la maison.

Pourquoi montrer une maison qui semble se transformer sans cesse ?

J’ai dessiné cette maison en pensant à celle de ma grand-mère, ou j’ai passé beaucoup de temps lorsque j’étais enfant. Mais je voulais rendre l’espace expressif en l’agrandissant ou en le rétrécissant pour de montrer les sensations que j’y ai ressenties à différents moments de ma vie, lorsque j’étais enfant, puis plus grande et aussi la façon dont ma famille percevais cette maison quand ils y vivaient avant ma naissance. J’ai ensuite utilisé toutes ces sensations et ces informations pour connecter et articuler les personnages du livre. Ce n’est pourtant pas spécifiquement d’une autobiographie, même si j’ai utilisé beaucoup d’éléments de la réalité pour construire cette fiction.

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Rocio et Vilma sont difficiles à aimer, renfermés sur elles-mêmes…

Ce que je voulais le plus explorer avec ce livre est ma propre peur d’être comme ma grand-mère, qui, comme Vilma, était difficile et repoussait tout le monde, moi y compris. Je voulais en apprendre plus sur ce personnage pour être différente, exactement comme Rocio dans l’album.

Toute l’action se déroule dans la maison, dans des circonstances qui font que Rocio ne peut pas en sortir. Cela fait semble faire écho au confinement.

sole-otero-departJe voulais effectivement parler de l’agoraphobie et de la peur de sortir qui touche le personnage de Vilma. J’étais moi-même en Italie quand le confinement a débuté et c’est là que j’ai commencé à dessiner l’album. Je faisais le voyage inverse de celui de ma famille qui a quitté l’Italie il y plusieurs générations pour l’Argentine. Tout ce qui se passait à l’extérieur était connecté à ce que j’étais en train de dessiner.

Comment avez-vous exploré le thème de la connexion entre Rocio et Vilma à travers le temps ?

Pour montrer la présence de la grand-mère décédée, j’ai utilisé les photographies et les miroirs, mais c’est surtout l’odeur de la maison qui suggère sa présence et qui donne le nom de l’album. C’est aussi pour cela qu’elle disparaît à la fin de l’album lors de la fumigation de la maison contre les puces. C’est le moment où Rocio fait la paix avec sa grand-mère et où elle peut quitter la maison.

C’est un récit à la première personne, menée par la voix intérieure de Vilma, dont vous avez barré de nombreux mots…

Oui, c’est mon premier album avec une voix intérieure et je n’avais pas l’habitude de ce type de narration, car j’utilise habituellement des dialogues. Alors j’ai employé le style de mon propre journal, car quand j’écris, je barre sans arrêts des mots, des passages. C’était un moyen de montrer deux choses en même temps. Parfois, c’est juste un mot barré car il n’est pas juste, mais parfois c’est un mot caché derrière un autre mot. Cela donne une ambiguïté au texte, montre les hésitations de Rocio et finalement de donne plus d’informations.

sole-otero-mamieUn autre personnage important est celui d’Antonio, le frère de Vilma.

Oui, car le conflit entre Vilma et lui est probablement la racine de nombreuses choses qui restent dans cette famille à travers les générations, même après son départ ou après sa mort. La façon dont elle est affectée par ce qu’il a fait ou ce qu’il aurait pu faire se reflète ensuite dans toutes les relations qu’elle peut avoir : elle a perdu sa capacité à avoir confiance dans les autres et reste en colère. Cela me permet aussi de déplier le récit, de montrer la complexité des situations de tous les personnages, qui sont poussés vers différentes voies par les circonstances de la vie. Ils font des sacrifices et font de leur mieux sans forcément y arriver.

Pourquoi avoir choisi la crise de 2001 en Argentine comme cadre pour votre récit ?

J’y voyais de nombreuse connections. Les parents de Vilma ont quitté l’Italie à cause d’une crise d’un autre type [les persécutions menées par Mussolini sur les militants communistes] et 2001 est un moment où, en Argentine, de nombreuses personnes sont parties, car la situation était trop difficile. De plus, Vilma et Rocio sont des personnages qui cherchent à repousser la vie politique hors de leur quotidien. Dans le cas de Vilma, c’est plutôt dû à des circonstances historiques, car une femme de son époque n’est pas impliquée dans la politique et elle a cette idée que l’histoire, la politique, la vie sociale sont quelque chose de mauvais. La crise de 2001 a été très choquante pour les gens en Argentine, car personne ne pouvait l’éviter. Beaucoup de gens de la classe moyenne ont perdu tout ce qu’ils avaient. Dans les banlieues, des gens volaient, cassaient les supermarchés. Les gens dormaient et mangeaient dans la rue, il était impossible de ne pas être affecté. C’est pourtant le moment où Rocio décide de changer et de s’ouvrir.

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Comment votre famille a-telle reçu Naphtaline ?

J’ai mélangé en réalité des membres de la famille de mon père et de ma mère pour composer les différents personnages. Je sais que la famille de ma mère a lu l’album et qu’ils ont été contents de reconnaître des détails du quartier dans lequel ils vivaient enfants. Mon père et son frère l’ont lu, mais ils n’ont pas fait de commentaires.

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Quelle a été votre formation en Argentine ?

J’ai toujours dessiné des BD, y compris quand j’étais enfant. Mais il n’y a pas de cursus universitaire pour cela en Argentine. J’ai donc fait des études de design textile. Puis j’ai démarré mon blog et j’ai diffusée mes bandes dessinées en ligne, mais il n’y avait pas beaucoup de possibilités de publication en format papier. Beaucoup de maisons d’édition avaient fermé après la crise des années 1990. J’ai continué à dessiner et j’ai pu être édité quand celles-ci ont réouvert.

Quels auteurs vous ont influencée ?

Enfant, Mafalda était ma bande dessinée préférée, avec Astérix. J’ai dû les lire 100 fois chacun. Ensuite, j’ai lu des mangas comme ceux de Rumiko Takahashi (Ranma ½ ). Puis j’ai découvert des bandes dessinées américaines et françaises. Mes influences les plus fortes sont Marjane Satrapi, l’Israélienne Rutu Modan, la Suédoise Joanna Hellgren. Power Paola aussi été très importante pour moi, elle est très connue en Amérique du sud.

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Comme en êtes-vous venu à vivre à Angoulême ?

naphtaline_couvJ’ai entendu parler de la Maison des auteurs en 2015, car Buenos Aires organisait une sorte de concours pour y envoyer des artistes. J’ai postulé sans être prise, mais j’ai persisté et je suis entrée pour la première fois en 2017. Puis je suis revenue en 2019 et j’ai finalement décidé que je voulais vivre ici. Je voulais bouger, aller en Europe, car il est difficile de faire des bandes dessinées en Argentine. Je suis actuellement en résidence car je suis en train d’écrire un nouveau livre. Quelque chose de différent, une fiction, avec de la magie, un peu d’horreur. Cela se passe en Argentine, c’est l’histoire de femmes mystérieuses au XVIIIe siècle… qui sont toujours vivantes aujourd’hui ! Cela me permet d’aborder différents époques en Argentine.

Propos recueillis par Mélanie Monroy

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Naphtaline.
Par Sole Otero.
Çà et là, 25 €, février 2022.

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