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Taro Samoyed, une mangaka aux fourneaux

12 octobre 2018 |

Taro Samoyed Artiste GlenatEntre Rungis, les cuisines des restaurants étoilés et la vie parisienne, le jeune héros d’Artiste – Un chef d’exception commence comme plongeur avant de prendre une place de choix au sein de la brigade d’un grand chef. L’auteure de ce manga, Taro Samoyed, était invitée à l’édition 2018 de Livre Paris. Alors que le deuxième volet de sa série culinaire qui dévoile les coulisses d’un restaurant haut de gamme vient de sortir chez Glénat, rencontre avec une dessinatrice issue du jeu vidéo qui avoue n’avoir jamais mis les pieds dans la cuisine d’un grand restaurant !

Vous êtes une autrice japonaise qui parle de cuisine française à des Français, cela ne vous met pas beaucoup de pression ?

Houlà, si, énormément de pression. En réalité, j’ai commencé à dessiner ce manga pour les lectrices japonaises et je ne pensais pas qu’il allait être édité en France. J’ai l’impression que tous les Français vont me dire que j’ai fait n’importe quoi… J’espère qu’ils ne me jugeront pas sur mes erreurs de novice !

Pourquoi avoir choisi le titre Artiste pour votre série ? Ce n’est pourtant pas forcément la première chose qui vient à l’esprit quand on parle de cuisine.

Je trouve vraiment que la cuisine française est quelque chose de très artistique. Par exemple, dans la couleur et le dressage, il y a des choses qu’on ne voit absolument pas dans la cuisine japonaise. Au Japon, on est surtout sur des nuances de marron liées à la sauce soja, alors qu’en France on voit des couleurs comme le jaune, le vert et l’orange que l’on ne retrouve absolument pas dans la cuisine de chez moi. En tant que dessinatrice, je suis très sensible aux couleurs et c’est ce qui me parle le plus.

Artiste Couv 1La question de la couleur se pose justement, puisque nous sommes là sur un manga dessiné et publié en noir et blanc… Comment retranscrire toutes ces couleurs avec de simples nuances de gris?

Eh oui, avec le manga je ne peux pas avoir ce rendu visuel et il faut que je sois capable de rendre toute la beauté des assiettes à travers un dessin en noir et blanc. Il est donc nécessaire d’insister beaucoup sur la lumière et le contraste pour que l’effet désiré puisse transparaître à la lecture. Mais, si je travaille beaucoup pour que le rendu soit qualitatif, j’estime que je n’ai pas encore abouti à la meilleure solution.

Contrairement à beaucoup de titres du genre, vous ne mettez pas les plats au centre de votre récit, mais le parcours d’un jeune homme. Pourquoi ce choix ?

J’ai une idée très précise de mon histoire et elle ne rentre pas en accord avec ce que l’on peut voir dans d’autres mangas. Ce qui change réellement, c’est qu’à la base, je ne voulais pas spécialement réaliser une bande dessinée sur la cuisine, mais un manga sur un artiste. Et quand j’ai réfléchi aux disciplines artistiques que je pourrais retranscrire en manga, la cuisine m’a parue être celle qui correspondait le plus à ce format.

Artiste 1En parlant de métier artistique, pourquoi avoir choisi le manga plutôt que la cuisine ?

J’aime le manga, car c’est alliance du meilleur du dessin et du meilleur du roman pour en faire quelque chose d’encore mieux. C’est le moyen d’expression qui me parle et me correspond le mieux. J’ai toujours aimé dessiner et raconter des histoires. J’ai d’ailleurs réalisé le premier prototype de ce manga quand j’étais encore à la fac. Je me disais à ce moment-là que je continuerais cette activité en amateur et j’ai fini par intégrer une société de jeux vidéo en tant que designer. Pendant que je travaillais dans cette entreprise, j’ai commencé à publier seule une deuxième version de ce manga. C’est à ce moment-là que plusieurs éditeurs m’ont repérée et m’ont proposé d’être édité dans le circuit conventionnel.

Avant de vous lancer dans cette série, aviez-vous déjà travaillé dans le milieu culinaire ?

Je n’ai jamais travaillé dans la restauration. À vrai dire, je préfère nettement déguster ce que les autres ont préparé. J’aime bien faire à manger, ce n’est pas la question, mais même si je passe deux heures à cuisiner quelque chose, on ne mettra finalement que quelques minutes à le manger…

Artiste 2Comment vous êtes-vous alors documentée pour rendre les coulisses des cuisines crédibles ?

Une grande partie de mon travail est basé sur des films et des documentaires français sur les grands chefs et sur ce qui se passe dans leurs cuisines. J’ai également lu énormément de livres de chefs japonais qui sont venus en France et qui racontent comment ils ont vécu leur expérience dans le milieu de la restauration française. Jusqu’à aujourd’hui je ne me suis jamais rendu réellement dans les vraies cuisines d’un restaurant étoilé français. Je vais justement profiter de mon voyage en France pour le faire !

Votre manga est prépublié en ligne gratuitement au Japon, chose quasi inexistante en France où le marché du numérique est encore insignifiant. Que pensez-vous de ce mode de publication ?

Au Japon il y a toute une multitude de mangas, on est littéralement noyé sous le nombre de publications. Il y a donc une grande et réelle difficulté à se faire repérer et connaître. Surtout en publication papier, car il faut souvent faire la démarche d’aller en librairie pour se procurer les sorties. Le numérique m’a paru être la façon la plus simple, rapide et gratuite de faire connaître mon travail et mon manga. Ça me permet d’avoir de nombreux lecteurs. En librairie, ce sont surtout les grosses sorties qui sont mises en avant, et les titres plus confidentiels comme Artiste ne sont pas autant poussés et mis en avant. Avoir encore aujourd’hui cette fenêtre ouverte sur un lectorat potentiel grâce à internet me semble nécessaire pour pouvoir attirer de nouveaux lecteurs et continuer à vivre de mon art.

Artiste 3Certains mangakas venus en France aiment mettre en avant le choc culturel qu’ils ont vécu en découvrant la réalité sur place (À nous deux ParisUn pigeon à Paris…). Est-ce que pour votre part vous avez trouvé ce que vous attendiez ?

C’est vrai que les Japonais ont souvent en tête l’image de la France véhiculée par Amélie Poulain, par exemple. Pour ma part, j’aime beaucoup les films français. J’en ai regardé plein et pas que des titres qui renvoient une belle image de la vie en France. Du coup, j’ai aussi vu des aspects moins édulcorés et ça n’a donc pas été un choc. Après, il y a des choses qu’on ne réalise que quand on vient et découvre sur place, mais Artiste n’a pas pour volonté d’être un manga humoristique et se veut ancré dans la réalité. Je fais alors en sorte que tout ce que j’ai pu observer me permette de donner un maximum de réalisme à mon manga.

Dans la plupart des cultures, ce sont les femmes qui cuisinent le plus à la maison, mais dans les restaurants français ce sont souvent les hommes qui sont à la manœuvre. Est-ce pareil au Japon ? Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Oui, c’est pareil au Japon, alors que les femmes cuisinent généralement à la maison. Je voulais décrire la réalité du milieu professionnel et non pas chercher à juger ou critiquer, c’est donc pour cela que c’est ainsi dans mon manga.

Artiste Couv 2Dans ce titre, vous vous centrez sur un aspect très précis de la cuisine : la restauration étoilée. Qu’est-ce qui vous attire dans ce milieu ?

Les Japonais, et je pense que c’est aussi le cas des Français, ne connaissent pas beaucoup ce qui se passe dans les cuisines et les coulisses des grands restaurants. Je voulais décrire toute l’organisation qui se tramait derrière tous ces établissements de luxe. J’avais donc envie de présenter ces brigades composées de professionnels ayant tous un rôle très précis.

C’est le travail d’équipe que vous voulez mettre en avant ?

Oui, dans ce genre de restaurant, on cite souvent le nom du chef, mais c’est vraiment le travail de toute une brigade qui permet à un tel établissement d’avoir du prestige. Quand j’ai travaillé dans le jeu vidéo, c’était un peu pareil. Il y avait plusieurs professionnels qui étaient chacun en charge d’un secteur dans lequel ils étaient les meilleurs et ils collaboraient pour réaliser une œuvre complète. Et la cuisine des restaurants étoilés, c’est finalement exactement le même fonctionnement. Il y a tout un aspect collaboratif non négligeable qui m’intéressait énormément de retranscrire.

Merci à Fanny Blanchard et Fanny Marc pour la mise en place de cette interview et à Satoko Inaba pour l’interprétariat.
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Artiste – Un chef d’exception #1-2.
Taro Samoyed.
Glénat, 7,60 €.

ARTISTE © Taro Samoyed 2016 / Shinchosha Publishing Co. – Traduction : Karine Rupp Stanko
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