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Tim Probert : « Avant Lightfall, je me sentais perdu »

7 novembre 2022 |

Tim Probert - Photo : Chloé Vollmer-Lo

Tim Probert – Photo : Chloé Vollmer-Lo

Pour sa première bande dessinée, l’Américain Tim Probert, spécialiste du dessin animé, s’est lancé dans une saga épique en plusieurs volumes – au moins quatre – de 250 pages chacun : Lightfall. Un projet ambitieux qui a rencontré son public, tous âges confondus. Sur la planète Irpa, la jeune Béa cherche à retrouver son grand-père, un cochon sorcier, et à raviver la flamme qui éclaire le monde, volée par un terrible volatile. À l’occasion de la sortie du tome 2 d’une des plus enthousiasmante saga de fantasy pour petits et grands de ces dernières, BoDoï a voulu faire toute la lumière sur sa genèse, avec son auteur Tim Probert, de passage au festival Quai des bulles de Saint-Malo.

Qu’est-ce qui vous a inspiré les superbes paysages de la planète Irpa ?

Cela vient en partie du fait que j’adore dessiner de la mousse ! Tout ce qui se rapporte à la verdure aussi, comme ces forêts touffues et luxuriantes. Et aussi des ruines. Une partie de mon inspiration vient aussi de mes voyages d’exploration. Je suis allé dans des endroits comme l’Islande et Terre-Neuve, au Canada… Je préparais déjà secrètement cette histoire. L’idée de départ de Lightfall vient d’une question que je me suis posée : et s’il n’y avait pas le Soleil, à quoi tout ça ressemblerait ? Si on mettait à la place une grosse boule de lumière au-dessus de nous, comment l’allumerait-on, à quelle distance faudrait-il la placer ?

Vos personnages sont atypiques (une jeune héroïne qui aime les livres de science, un vieux cochon-sorcier, d’étranges créatures comme Cad…). Pourtant on s’attache vite à eux, on a même de l’empathie pour les créatures de l’ombre. Par quelle magie ?

Merci, ça fait plaisir ! Je pense que c’est parce que je mets un peu de moi dans chacun des personnages, même les « méchants », qui sont plutôt les antagonistes de l’histoire. J’essaie de faire en sorte que l’on puisse comprendre leurs agissements : même s’ils font quelque chose de pas génial, ils ont toujours une raison de le faire. On doit comprendre pourquoi ils en sont arrivés là. C’est un peu comme dans la vie : plus on connaît quelqu’un, plus on le comprend, parce qu’on cerne sa personnalité. Béa, Cad, le grand-père… sont tous comme des petits morceaux de moi ou de personnes que je connais, que j’ai injectés dans la fantasy. Cela aide à rendre les personnages crédibles dans ce monde d’Irpa qui est très différent du nôtre.
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Qui est votre personnage préféré?

J’en n’ai pas ! Pour Béa et Cad, j’ai fait de mon mieux pour m’assurer qu’aucun d’eux ne prenne trop le dessus en tant que personnage principal, parce que je les considère comme égaux.

Votre récit est très rythmé, avec de l’aventure, des rencontres, des secrets à découvrir… Est-ce votre expérience dans le cinéma d’animation qui vous a donné cette aisance narrative ?

Oui, sans doute. J’ai aussi suivi des cours d’écriture de scénarios de films, et lu beaucoup de livres sur ce sujet. Donc, même si les livres sont très différents d’un film, je pense que l’utilisation de certaines de ces structures de base a vraiment aidé l’histoire à se dérouler avec un début, un milieu et une fin dans chaque tome, et néanmoins une ouverture vers la suite de l’aventure dans le livre suivant. Je pense que l’animation a été vraiment utile à cet égard. Dans mon travail, je fais beaucoup de storyboards où on dessine très vite, ce qui m’a aidé à « dégrossir » les bandes dessinées, puis à en faire des cases. Je suis capable de dessiner rapidement et disposé jeter des trucs quand il le faut !

La lumière est au cœur de votre récit. C’est l’objet de la quête, on la retrouve dans les titres de chaque tome, dans vos planches… Êtes-vous comme les papillons attiré par la lumière, ou préférez-vous rester dans l’ombre ?

J’aime les deux ! C’est ce que j’espère faire ressortir dans l’histoire aussi. J’aime le jour, mais la nuit apporte quelque chose d’autre, une atmosphère différente, une humeur différente. Dans beaucoup d’histoires fantastiques, la lumière est bonne et l’obscurité mauvaise. Or cela ne reflète pas nécessairement la réalité. La lumière peut apporter ses propres problèmes, et il y a de belles choses dans l’obscurité. L’histoire de Lightfall consiste à trouver l’équilibre entre les deux, parce l’ombre comme la lumière sont merveilleuses à leur manière.
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Faire une BD « classique » est un processus long… Comment se lance-t-on dans une trilogie de 250 pages par tome ? Aviez-vous prévu de faire plus court au départ ?

Il y aura plus que trois livres. Je ne sais pas exactement combien, mais au moins quatre… Au départ, en effet, le premier livre était censé être plus court. Finalement, j’ai l’impression que la longueur dans laquelle je me suis installé est l’espace nécessaire pour avoir ces moments de calme dans le récit, qui sont mes préférés. Bien sûr, on veut des grandes scènes d’action, mais on aime aussi vivre des scènes où rien ne se passe, où l’on vit un peu dans l’espace des personnages. Mais ce qui est sûr, c’est que lorsque j’attaque le livre suivant, je me dis toujours : « Oh, mon dieu, ça fait beaucoup de pages à produire ! »
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Qu’apporte le numérique par rapport aux techniques traditionnelles ?

J’utilise les deux. Je fais les premiers croquis numériquement, de sorte que je peux très rapidement couper-coller et déplacer des choses, les mettre à l’échelle… C’est beaucoup plus rapide de cette façon. Mais après je dessine toutes les pages au crayon. Tout le livre est dessiné sur du papier d’imprimante basique, avec un crayon. Rien d’extraordinaire ! À partir de là, je scanne les planches et je les mets dans Photoshop, où je dispose toutes les bulles. Le numérique me donne de la flexibilité. Et puis ça me permet de faire vraiment beaucoup d’expérimentations – et d’erreurs ! – avec la couleur. Parfois, je m’enfonce dans une direction avec un chapitre, puis le lendemain et je me dis : « Ouh là, ces couleurs sont épouvantables ! Qu’est-ce que je suis en train de faire ? » Et cela me permet de recommencer et de trouver rapidement quelque chose d’autre, d’essayer différentes combinaisons de couleurs. Une seconde chance que je n’aurais pas si je peignais à la main.

Dragon, forêt luxuriante, rivière souterraine, humains… Vous savez vraiment tout dessiner ou y a-t-il quelque chose qui vous pose une difficulté ?

Il y a beaucoup de choses qui sont difficiles ! Parfois je les mets exprès dans le livre quand j’écris, par défi. Quand arrive le moment de dessiner, je me demande pourquoi j’ai mis les personnages sur des bateaux : je suis nul pour dessiner les bateaux ! J’ai lutté. J’en ai tellement dessiné que je me sens à l’aise maintenant…

Vous citez Bill Watterson en épigraphe du tome 2 : êtes-vous fan de Calvin & Hobbes ? Quel(le)s autres auteurs et autrices appréciez-vous ?

Calvin & Hobbes est sans aucun doute l’une de mes bandes dessinées préférées. L’humour et la relation entre les deux personnages ont eu une grande influence sur mes propres personnages, et j’ai essayé d’obtenir cet humour parfois noir, parfois juste idiot. Le tatouage que j’ai là, sur le bras, est un dinosaure de Bill Watterson issu de Calvin & Hobbes. Je suis vraiment un grand fan ! Mais j’ai d’autres grandes influences : Le Seigneur des Anneaux, bien sûr, comme pour la plupart des auteurs de fantasy. Mais aussi le comics Bone, de Jeff Smith. Ça m’a ouvert les yeux, de lire cette longue histoire épique, qui passe par tant de phases. Et le manga Nausicaä de Hayao Miyazaki fait aussi partie de mes BD préférées et fondamentales.

Certains de vos petits personnages s’expriment comme maître Yoda : êtes-vous aussi un amateur de science-fiction ?

J’aime aussi Star Wars, oui !
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J’ai lu que vous aviez deux chats. Quelle est l’importance du chat Nimm qui accompagne Béa dans votre histoire ?

Lightfall_T2_P155 Quand j’ai commencé à écrire l’histoire, Nimm n’existait pas. Béa était juste là avec son grand-père, vivant au milieu de nulle part. Même s’ils sont très proches, il lui manquait quelque chose. Elle avait besoin d’un ami avec elle. J’ai eu l’idée du chat parce que mes deux chats courent partout pendant que je dessine ! J’ai aimé l’idée d’un chat qui part dans une grande aventure fantastique tout en étant un chat normal. Ce n’est pas comme dans un film de Disney, où les acolytes animaliers résolvent les problèmes, parlent, et font toutes sortes de choses. Nimm est un simple chat, parfois ennuyeux. Il est juste là pour écouter, comme le fait un ami.

Lightfall est votre première BD, écrite et dessinée pour un public jeunesse. Comment expliquez-vous qu’elle plaise autant aux adultes aussi ?

C’est vrai que beaucoup de parents – et aussi des bibliothécaires – me disent : « Mon enfant l’a commencé, puis je l’ai pris et j’ai découvert que j’accrochais vraiment ! » Ce qui est toujours génial, car même si j’aime que les enfants lisent mon histoire, j’essaie de l’écrire sans qu’elle leur soit spécifiquement destinée. Je veux que n’importe puisse en retirer quelque chose. Idéalement – on peut rêver ! – j’imagine même qu’un enfant qui lit Lightfall aujourd’hui s’en souvienne et l’aime toujours dans vingt ans, et qu’il puisse peut-être un jour le donner à ses enfants. Ou simplement le relire à l’âge adulte et y trouver quelque chose de différent. C’est ça, mon but, faire une histoire attrayante que tout le monde peut lire.

LightFall2_CouvÀ un moment, il faut se perdre pour trouver le bon chemin. Vous êtes-vous déjà perdu ? Si oui, avez-vous trouvé le bon chemin à présent ?

Je pense m’être perdu de nombreuses fois ! Quand je voyage, surtout. Ou même quand je vivais à New York, je me perdais tout le temps. J’ai l’impression que c’est la meilleure façon d’apprendre à connaître un endroit, en se perdant et en errant. Et oui, en effet, même dans les grandes étapes de ma vie, j’ai la sensation de m’être perdu puis retrouvé. Tout le monde passe par là, non ? « Qu’est-ce que je fais ? Où suis-je ? Qu’est-ce que je fais de ma vie ? » Et puis on trouve quelque chose. À vrai dire, juste avant d’écrire Lightfall, je me sentais un peu perdu. Puis j’ai eu cette opportunité et je me suis dit : « Oh, ça y est, j’ai trouvé. Je suis au bon endroit. »

Propos recueillis et traduits par Natacha Lefauconnier

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Lightfall #2 – L’Ombre de l’oiseau.
Par Tim Probert.
Gallimard BD, 250 p., 19,90 €, août 2022.

Images © Tim Probert / Gallimard BD pour la version française

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