Tumultes
Difficile de toujours trouver une ligne directrice dans le chemin artistique d’Hugues Micol. Un peu à l’image de Blutch qui ne cesse de se réinventer à chaque parution. Micol se fait parfois éditer chez de « grands éditeurs » (Le Printemps Humain chez Casterman, Bonneval Pacha chez Dargaud), parfois chez des indépendants pour mieux libérer son trait et sa pensée, déstructurés à l’envi. Avec Tumultes, l’auteur achève une trilogie ambitieuse et déroutante, entamée avec 3 (rebaptisé Romanji pour la réédition) puis déclinée dans Séquelles, brassant ce qu’il y a de plus intéressant chez lui. Car chaque livre est une découverte baroque remplie de délires et de distorsions, multipliant pistes et couloirs pour mieux se perdre. Mais toujours pour mieux se retrouver.
Plutôt que de décrire le pitch d’un récit impossible à résumer – une histoire de silure alpha à l’identité trouble mêlée de magie sexuelle, de mutations polymorphes, de sociétés secrètes très portées sur l’ésotérisme – mieux vaut se concentrer sur l’essence même du talent de l’artiste. Hugues Micol pratique un art « divagatoire » saisissant, croisant personnages fantastiques (voir Otto Renrew et sa tête renversée), ambiances de film noir inquiétant, références populaires, sens de la parodie et horizon au bord du chaos. Les chocs temporels se conjuguent aux axiomes les plus fous, les digressions prophétiques au surréalisme le plus étrange, le tout dans l’imminence de l’apocalypse. Et comme dans Séquelles, l’impression de vivre un rêve tordu – ou un cauchemar sans fin plutôt – plonge dans un océan d’hébétude. Un trip halluciné d’ailleurs sublimé par la virtuosité graphique de l’auteur, le pinceau à l’encre de Chine conférant élégance naturelle et force de l’évidence. Chez Micol, il y a du comics dans le dynamisme des compositions, du Blutch et du Burns. Il y a aussi et surtout du Micol, un grand auteur à l’oeuvre personnelle. Songe trépidant, invitation au vertige du dépaysement et fascinante expérience de lecture, Tumultes clôt ainsi une somptueuse trilogie. Et montre un auteur au sommet de son art.
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