Par Keiichi Koike. Glénat, 10,55 €, le 13 octobre 2010.
3 tomes parus au Japon. Série en cours.

Difficile de ne pas céder aux charmes de la défonce lorsque notre société, à longueur de journée et grand renfort de spots publicitaires, en prône les vertus. Les nombreux psychotropes disponibles sur le marché permettent, un temps et moyennant finance, d’échapper en toute légalité à l’ennui succédant à d’interminables journées de travail.

Si Kab s’adonne, comme tant de ses congénères, aux vertiges que lui procurent ces puissants produits, ses raisons à lui semblent être tout autres. C’est qu’il aime repousser ses limites, atténuer chaque fois davantage la frontière séparant le rêve de la réalité, au risque de les confondre et de tutoyer la mort. Mais c’est véritablement lorsqu’il prend conscience des potentialités inédites que lui offre le « neuro-amplificateur », appareil permettant d’influer sur la matière par la seule force de l’esprit, que l’on se dit que le point de non-retour a été atteint…

Le troisième tome d’Ultra Heaven nous replonge pour notre plus grand plaisir dans les méandres du cerveau de Kab. Entraîné au Centre de méditation, celui-ci y découvre le «Drome» un endroit permettant la création d’un univers virtuel commun, où chacun est libre d’intervenir et évoluer comme il le souhaite. Mais ce que réserve à ce monde idyllique la psyché d’un junkie au passé trouble ne semble pas être du goût de tous…

Une bonne moitié de l’album surprendra les inconditionnels des premières heures par sa (relative) clarté narrative et le classicisme de la construction des planches. Keiichi Koike étant probablement, au passage, l’un des auteurs les plus habiles à marier la forme au propos de ses albums, on pourrait d’ailleurs l’expliquer par la tonalité plus spirituelle de ce tome 3. On y retrouvera néanmoins ça et là les éléments qui avaient contribué à la force et l’indéniable originalité des deux premiers volumes : distorsions de l’espace et du temps, dédoublement de certains personnages, cascades de cases obliques, planches structurées autour de spirales, déformations graphiques et récurrence des motifs psychédéliques… le tout servi par un graphisme et un choix de plans toujours aussi efficaces.

S’il prend peut-être moins aux tripes que les précédents, qui laissaient davantage de place aux délires hallucinés et hallucinants du principal protagoniste, ce troisième opus reste tout aussi riche et déconcertant et mérite vraiment que l’on s’y attarde.

Pierre Gris

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