Un beau voyage
Des îles, une mer ou un océan, un capitaine et un Béber. Perchés sur leur bout de terre, les deux compères devisent sur le sens du monde, observent autour d’eux l’inertie de l’eau. Il y a bien un courant Est-Coralien, des rochers qui doutent, des baleines chelous, des barres, des Codes barres et des îles par centaines : celle où la bière coule à flots, celle qui fait trop rêver et celle du sommeil parfait… Au milieu, toujours un capitaine et Béber qui attendent. Mais quoi ? Car ils sont au milieu « et il ne se passe rien »…
Il ne se passe rien, vraiment, dans ce beau voyage imaginé par Delphine Panique ? L’auteure et son imaginaire sans frontières (Orlando, En temps de guerre, Les Classiques de Patrique, Vol nocturne) revient en très grande forme avec cette errance immobile au coeur des océans. Une véritable prouesse même, car l’album pèse 550 g et plus de 300 pages, le tout dans un élégant format à l’italienne dont les éditions Misma ont le secret (remarquez la tranche bleue). Alors, de quoi est-il question ? D’un voyage avec des animaux et des monstres marins très grands, des îles qui ont de l’humour et d’une vague immense, mais délicate, qui emporte tout sur son passage. Le minimalisme de personnages réduits à des formes géométriques et l’incroyable mouvement dessinent un univers décalé et fantaisiste, plein de rêves et d’observations cocasses.
À quelques exceptions près, les pages déroulent un gaufrier régulier de six cases qui fait croire, un temps, à l’absence d’activité, au surplace de nos héros privés d’action, à la fixité des paysages. Le moyen pour l’auteure en réalité, par de saisissants contrastes de rythme, de jouer avec les mots, l’espace et les dialogues. Certaines séquences sont ainsi splendides, par leur technique ou leur esthétique (quand il faut retourner l’album pour lire le texte ou lorsque la lumière et les formes changent).
Il se passe quantité de choses dans un océan, et c’est l’univers de Delphine Panique, mélange d’onirisme doux et d’absurde comique (ou macabre parfois, « les tsunamis de cadavres »), qui nous le rend palpable, de façon très simple et fluide, avec beaucoup d’émotion, passant facilement du loufoque au douloureux. Il y a de la poésie, dans ce voyage poignant, et même un peu de magie. On vous laisse découvrir ce petit monde aquatique au parfum irréel. L’attente n’a jamais été aussi belle.
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