Un ouragan dans la barbe !
Après la barbe fleurie de Charlemagne et la barbe hirsute de hipster, voici venu le temps de l’ouragan dans la barbe ! Sous ce joli titre destiné a priori à la jeunesse (mais en réalité tout public) se cache un récit transgénérationnel et intimiste, dont la légèreté apparente révèle peu à peu des sujets plus profonds. Les joies simples de l’enfance – explorer un jardin luxuriant, se déguiser avec des hardes, manger du gâteau en cachette – côtoient les désagréments liés au vieillissement : viduité, altérations physiques, solitude.
La rencontre de ces sentiments se fait dans la maison de Papy, où Maman emmène Hugo pour sept journées qui chapitrent l’album. À la fois fille et mère, cette femme s’efforce de (re)créer des liens entre son père à elle et son petit garçon, après des années de brouille familiale dont on devine qu’elle a eu lieu après le décès de la grand-mère. Cette dernière d’ailleurs est un personnage à part entière : son absence étoffe le jardin d’herbes folles, ses vêtements sont toujours dans l’armoire et elle n’a visiblement pas quitté le cœur du grand-père.
Même avec ses talents de cuisinière-pâtissière (dont elle a fait son métier), Maman aura du mal à faire prendre la mayonnaise entre un garçonnet remuant qui n’aime pas lire et un Papy solitaire qui fabrique des livres. Pourtant Hugo admire son grand-père aux airs d’ogre et s’efforce de l’apprivoiser au fil des jours (non sans maladresse). Mais ce dernier s’enferme au sous-sol dont l’accès lui est strictement réservé et où l’attendent ses instruments tranchants.
Un jour, son petit-fils brave l’interdit et se glisse dans l’atelier pour admirer l’écrasatator et s’emparer d’Excalibur, déclenchant les foudres et gesticulations de son aïeul, qui vire au rouge tomate. Point de hurlements : Papy est muet (et sourd), les joutes verbales se font en langue des signes. Un ouragan dans la barbe ! est aussi une histoire autour du handicap, qui pointe du doigt l’effort de communication que cela nécessite de part et d’autre pour ne pas laisser l’incompréhension et l’isolement s’installer. C’est d’autant plus vrai lorsqu’un enfant devenu adulte veut aider son parent vieillissant et que ce dernier accepte mal sa perte d’autonomie.
Les pages de l’album sont un espace de liberté où Noelia Diaz Iglesias laisse courir ses crayons, en s’affranchissant des cases et insufflant de la fantaisie dans ses bulles. Le choix graphique est parfaitement en phase avec le propos : l’autrice s’approprie des gestes spontanés de gosse, tant dans les proportions (les pieds tout petits), qu’au niveau du style (la barbe « gribouillée ») ou du « coloriage » au trait apparent, qui dépasse parfois un peu. Les typos ne sont pas en reste, avec un grand choix dans leur forme, leur taille et leur couleur, et un soin particulier apporté aux onomatopées (sans elles, nous non plus n’entendrions pas le GLANG GLONG tremblant des outils de l’atelier ni les Craac de l’œuf qu’on casse).
Diplômée en illustration de l’ESA Saint-Luc, la jeune autrice de 27 ans nous régale (d’autant qu’elle a aussi une formation en boulangerie-pâtisserie !) avec cette première bande dessinée sur la nécessaire bienveillance mutuelle entre générations. Un album plein de poésie, d’amour filial et de fraîcheur qui cultive l’imagination enfantine comme un trésor.
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