Un printemps à Tchernobyl ****
Par Emmanuel Lepage. Futuropolis, 24,50€, le 4 octobre 2012.
« Après ton voyage, tu brilleras la nuit ! » Lorsqu’il décide de partir à Tchernobyl, Emmanuel Lepage fait face aux craintes de son entourage, et aux siennes propres. L’auteur de Muchacho et de Voyage aux Iles de la Désolation est tout de même allé dans la zone contaminée en 2008, à l’occasion d’une résidence artistique de quinze jours. Il raconte cette expérience particulière dans un livre dense et fort, qui mêle son existence personnelle à cette découverte périlleuse.
Un printemps à Tchernobyl commence par le témoignage-choc, quasi insoutenable, de Svetlana Alexievitch. La Supplication (que lit le narrateur dans le train qui le mène à son but) détaille le supplice d’un homme qui brûle et devient littéralement un objet radioactif, ou celui d’un bébé atteint de cirrhose et décédé quatre heures après sa naissance… Voilà le lecteur plongé au coeur d’un drame anxiogène, qui s’est déroulé en 1986. A l’époque, Alain Madelin, alors ministre de l’Industrie, assurait qu’il n’y avait pour les Français « aucun risque sanitaire », tandis que 500 000 à 800 000 « liquidateurs » se sacrifiaient pour tenter de sécuriser la centrale.
En 2008 donc, Emmanuel Lepage se rend sur place avec son collègue Gildas Chasseboeuf, membre comme lui de l’association des Dessin’acteurs. Ils se retrouvent à Volodarka, à 20 km de la « zone interdite » et à 40 de la centrale. Côtoient des familles qui ont vécu le drame et ont l’impression de se trouver depuis sur « une grenade dégoupillée ». Découvrent avec stupéfaction que, dans la « zone » ultra contaminée où l’on dessine avec des gants et armé d’un dosimètre, la nature est belle et luxuriante. Un paradoxe troublant, que l’artiste raconte avec beaucoup d’honnêteté. En parallèle, il se livre assez intimement, détaillant un choc personnel : depuis quelques mois, il ne peut plus travailler, victime de la « crampe de l’écrivain ». Le voilà obligé de réinventer son art, de questionner sa pratique, d’utiliser de nouveaux outils. Ce qu’il fait de façon ultra convaincante : dans cet album, son trait est magnifique. A la fois libre et tenu, léger et fouillé, oscillant entre un noir et blanc mélancolique et des couleurs éclatantes. La forme rejoint alors le fond, dans un récit bellement écrit, ciselé avec beaucoup de sincérité. Qui touche et interroge sur ses propres sensations.
Achetez-le sur Fnac.com
Achetez-le sur Amazon.fr
Achetez-le sur BDFugue.com
Commentaires