Un visage familier
Dans ce monde, tout est connecté, interconnecté, et soumis au dogme de l’amélioration permanente. Des mises à jour qui peuvent tout bouleverser sans prévenir, l’équilibre du monde comme le noyau d’un couple. On suit une employée du gouvernement chargée de lire les plaintes des habitants. Les lire, juste ça. Ni répondre ni chercher une solution. Et ce n’est pas la seule absurdité dans cet univers soumis à la surconsommation et au culte de l’augmentation. Où une main peut vous pousser d’un jour à l’autre, votre lieu de travail s’éloigner de 5 km, votre appartement gagner ou perdre une pièce. Et votre amoureuse disparaître sans prévenir ni laisser de trace.
L’auteur canadien Michael Deforge marche dans les pas des grands classiques de la science-fiction, en extrapolant certains travers de la société du XXIe siècle : la course à la performance, évaluée par une entité numérique désincarnée ; la soumission à une évolution effrénée qui n’a aucun intérêt si ce n’est de modifier l’existant ; le faux respect des clients par des autorités qui écoutent sans entendre ; et la déshumanisation progressive des relations de travail, de voisinage, d’amitié. Et d’amour. Car c’est aussi l’histoire d’une romance qui s’effondre et de la dépression qui s’ensuit. L’héroïne raconte tout cela en voix off, la façon dont elle s’est éloignée de sa compagne jusqu’à ce que celle-ci s’évanouisse, et comment elle l’a cherchée partout, jusque dans de fantasques groupuscules terroristes… Dans cette BD aux petites cases denses, Michael Deforge manie la métaphore permanente, le recours à la psychanalyse et à l’abstraction, et joue sur l’entremêlement de lignes ondulantes, de formes étranges et de couleurs flash. C’est à la fois fascinant et étouffant, souvent hermétique car trop cérébral et désespéré, mais aussi terriblement audacieux et original. Pour lecteurs prêts à se laisser bousculer.
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