Un peu par hasard, Dav Guedin a mis la main sur les journaux intimes d’un lointain cousin de son père, tout juste suicidé. Une mine d’or et de sordide : rejeton d’une famille pauvre et déglinguée de la campagne française, le bonhomme était devenu huissier de justice et en a connu des vertes, des pas mûres et des bien pourries dans sa vie, jusqu’à un cancer dégueulasse qui l’a défiguré. Armé de ses crayons prompts à croquer les tronches tordues, Dav Guedin s’est lancé dans l’illustration de cette Vie d’huissier.

Il faut oser franchir l’une des portes qui orne cette austère couverture qui ne dit pas grand-chose et ne pas s’arrêter au titre volontairement peu glamour. Car à l’intérieur, on se prend en plein visage une oeuvre d’une force étonnante, une bande dessinée puissante et intelligente qui, en plus de peindre une certaine France des années 70-80, sonde l’âme humaine comme rarement. S’appuyant sur le parcours du cousin, ses anecdotes les plus croustillantes sur son métier d’huissier (dont une bonne part consistait à pénétrer de force chez des pauvres ou des marginaux) et ses confessions sans fard, l’auteur de Colo Bray-Dunes 1999 ne ménage pas ses efforts de mise en scène. Avec un style expressionniste, lorgnant le dessin de faits divers léché mais outrancier à la Angelo Di Marco, Dav Guedin magnifie le glauque, la bêtise et la misère intellectuelle sans s’en moquer mais sans la dénaturer non plus. Son album, au sujet pourtant peu inspirant a priori, se classe au premier rang des livres délicieusement inclassables, de ceux dont on se souvient longtemps. Quelle claque !