Vers une nouvelle offensive de titres coréens ?
Alors qu’on pensait le filon de la bande dessinée coréenne (manhwa) définitivement épuisé en France, après de nombreux échecs, voilà que plusieurs éditeurs tentent le coup à nouveau.
D’un côté, des titres pour hommes adolescents/adultes sont publiés par des éditeurs spécialisés Asie : Ki-oon sort Hell Blade. Clair de lune confirme son catalogue manhwa avec pas moins de 10 nouveautés annoncées (et, exception qui confirme la règle, lance des ouvrages japonais avec déjà 4 titres prévus). Booken manga arrive sur le marché avec 4 nouvelles licences manhwa (et pas encore de manga, étrangement) : The Breaker, Gui, Ping et The Swordsman.
De l’autre, des éditeurs BD généralistes s’orientent vers le manhwa d’auteur. FLBLB prévoit Mission PyongYang, nouveau titre de Oh Yeong Jin (Le Visiteur du Sud). Les éditions Sarbacane sortent leur première bande dessinée coréenne (ils avaient déjà publié des livres d’auteurs coréens pour enfants) : Sous l’eau l’obscurité de Yoon-Sun Park (bientôt en interview ici). Enfin, Paquet réédite Le Bandit généreux dans un grand format et à un prix attractif.
Une renaissance ?
Voilà pourtant quelques années maintenant que le manhwa avait presque disparu des librairies françaises. Bon nombre d’éditeurs s’y étaient cassés les dents. À la recherche de nouveaux horizons (et de nouveaux profits), ils avaient inondé les marchés de titres déjà vus, fragiles graphiquement ou totalement anodins… Quelques irréductibles ont tout de même persisté en n’éditant que des manhwas. D’autres éditeurs, au catalogue plus généraliste, ont également sorti sporadiquement des titres coréens plus adultes.
En 2011, la nouvelle vague de ces titres n’est tout de même pas si étonnante. Les éditeurs non spécialisés ont pu dénicher des titres d’auteurs, proches des romans graphiques en vogue. Les éditeurs de titres asiatiques, eux, se heurtent à la pénurie de séries japonaises disponibles, au manque de renouvellement des shônen et à la saturation du marché. Les seinen peinent encore à trouver leur public, les collections vintage ont du mal à être rentables, les shôjo restent cantonnés aux aventures scolaires (alors que des titres excellents comme 7 Seeds sont totalement ignorés du public)… De plus, les licences coréennes sont clairement plus abordables que leurs pendants japonais. C’est pourquoi, après des années d’hésitation, les éditeurs se (re)lancent dans le manhwa avec plus ou moins d’entrain. Il faut dire que les lecteurs n’ont jamais été très friands de ces titres, souvent considérés comme de pâles copies de les mangas…
Ainsi, peu de BD coréennes ont réussi à percer en France. La faute notamment aux erreurs éditoriales d’un des principaux défenseurs de cette production : Tokebi. La filiale de feu SEEBD avait décidé de proposer un catalogue uniquement composé de manhwas. Mais, en raison de trop nombreuses parutions analogues et du rythme de sortie élevé, il a enterré ses propres titres. Quelques-uns s’en sont tout de même sortis et ont permis de maintenir à flot le catalogue quelques années : Chonchu, Priest et High School.
Zoom sur cinq titres
Le premier trimestre 2011 est marqué par l’arrivée de titres « grand public » dans la veine des trois succès que l’on vient de citer. Que faut-il en penser ?
Hell Blade
Hell Blade est une vision coréenne fantasmée du mythe de Jack l’éventreur. Au départ, il s’agit d’une investigation plutôt classique, mais l’enquêteur va vite se retrouver dans le pétrin à cause d’une aventure amoureuse: sa fiancée tue une belle-mère qui la maltraite depuis trop longtemps, et le policier transi tente alors de maquiller le meurtre à la manière de Jack… Mais tout se complique, suite la rencontre avec un étrange meurtrier et l’arrivée d’enquêteurs religieux. Enfin, tout dérape quand la bien-aimée se transforme en monstre hideux à la force incroyable…
Si le début de l’histoire est relativement standard, la seconde moitié de ce premier volume marque un tournant étonnant. Loin d’être une simple enquête, on se retrouve face à un sombre récit fantastique, où des créatures ignobles attaquent les humains sans raison apparente. Servi par un dessin maîtrisé et un sens de la mise en scène aiguisé, ce premier volume accrocheur plaira aux amateurs de sensations fortes. Pour l’instant, le titre évoque les délirants Hellsing et Priest. Seule la suite dira si l’auteur n’est pas allé trop loin dans ses choix gothiques et paranormaux.
Hell Blade #1. Je-tae Yoo. Ki-oon, 7,50€.
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Gui
Après High School et Banya, Kim Young Oh est de retour. L’auteur avait déjà su nous tenir en haleine avec des histoires rythmées et un dessin de qualité. Ici, responsable seulement du dessin, il se lâche complètement ! Le trait est précis et de grande qualité, le découpage très dynamique. Son héros est un épéiste de talent qui cache de nombreux secrets. Ce volume se dévore en un instant et le graphisme est réellement envoûtant. L’histoire est quant à elle pour l’instant peu développée. Mais il ne faut pas non plus se voiler la face, Gui un titre d’action avant tout. Les lecteurs ne vont sans doute pas s’arrêter là, car cette série promet des beaux combats et de l’aventure !
Gui #1. Orebalgum et Young-oh Kim. Booken Manga, 7,95€.
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The Breaker
Un nouveau professeur arrive dans un lycée. Officiellement, il est le remplaçant d’un enseignant malade. Dans la réalité, il est clair que ce séducteur (et expert des arts martiaux) n’est pas simplement là pour instruire les jeunes élèves… Mais pour l’heure, l’homme n’est qu’un prof un peu bizarre, puisque, quand il ne drague pas, il apprend le combat à un jeune garçon constamment martyrisé. Difficile de mettre en scène un professeur obsédé et bagarreur dans une école sans faire penser à Onizuka (GTO chez Pika). Ici les auteurs ne s’en cachent pas et utilisent même certains running-gags (la voiture du proviseur) de la série culte pour asseoir leur propre univers. Loin d’être une pâle copie, ce manhwa a l’air de prendre une toute autre tournure à la fin du premier volume. Pas seulement professeur pour draguer les minettes, le héros semble avoir une mission de haute importance….
Le dessin est bien maîtrisé et les scènes d’actions claires et énergiques. Le titre sait également être drôle et possède suffisamment de charme pour attirer le public adolescent. Un premier volume introductif qui annonce une suite entièrement tournée vers l’action et l’humour.
The Breaker #1. Geuk-jin Jeon et Jin-hwan Park. Booken Manga, 7,95€.
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Ping et The Swordsman
Deux premiers volumes pour poser les bases. Si Ping n’accrochera pas forcément le lecteur par son dessin, il risque de le convaincre par son dynamisme et son scénario classique et bien ficelé. Dans The Swordsman, le héros est présenté comme le sabreur coréen par excellence, on parle même du Musashi Miyamoto coréen (en référence à des plus fameux escrimeurs japonais)… Du coup la barre est placée très haut dès le départ, et le titre a du mal à prendre son envol. Le héros n’est pour l’instant pas du tout au centre de l’histoire, espérons qu’il trouve vite sa place. En revanche, le trait est maîtrisé comme en témoigne sa très belle couverture.
Ping #1. Chong-kyu Lee et Youn-Kyung Kim. Booken Manga, 7,95€.
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The Swordsman #1. Jae-hun Lee et Ki-woo Hong. Booken Manga, 7,95€.
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En conclusion
Les manhwas « grand public » mis en avant par les éditeurs français ne sont ni des titres novateurs, ni de véritables chefs-d’œuvre. Néanmoins, les dessins sont tous de bonne tenue, voire de très haute qualité; le rythme est enlevé, l’action bien menée et l’humour efficace. Tout est là pour happer les adolescents et jeunes adultes en manque de sensations fortes. Dans leur genre, ils n’ont en tout cas rien à envier aux mangas. Il est temps de laisser une chance aux titres coréens qui, bien choisis et bien accompagnés, permettront sûrement de redonner un coup de fouet au secteur.
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