Victory Parade
New York, 1943. Rose travaille sur les chantiers navals de Brooklyn, comme tant d’autres femmes venues remplacer les hommes partis combattre en Europe. Elle héberge une jeune juive allemande, émigrée quand il était encore temps, et élève sa fille seule. Elle a aussi une histoire d’amour avec un vétéran de son immeuble, qui a laissé sa jambe dans une tranchée. Autour d’elle, les femmes tentent de profiter de l’absence des hommes pour affirmer leur soif de liberté, leurs désirs, leur aspiration à l’égalité de droits. Mais c’est une lutte de tous les instants et les mâles ne comptent pas se laisser faire. Pendant ce temps, ceux qui reviennent d’Europe ou qui réussissent à avoir des nouvelles portent avec eux l’effroi et les cauchemars.
Dans une narration limpide, sans fioriture ni concession, l’Américaine Leela Corman propose un regard original et puissant sur le quotidien des femmes restées « à l’arrière » du théâtre de la guerre, et qui vivent dans un quotidien fait de pauvreté, de culpabilité (puis-je avouer être heureuse sans mon mari? dois-je me morfondre d’être amoureuse d’un autre, vraiment amoureuse cette fois?) et d’angoisse quant ce qui se joue pour les juifs de l’autre côté de l’Atlantique. Et de violence permanente, entre harcèlement et agressions sexuelles, insultes racistes et antisémites, voire meurtre. Le personnage de Ruth, la jeune orpheline juive en fuite, qui va soigner sa rage sur les rings de catch sous le nom de « Rubie la furie boche », condense en lui-même nombre des sujets s’immisçant dans les pages de ce roman graphique funèbre : la Shoah, l’utilisation des femmes comme des objets de désir et de haine par les hommes, les traumatismes de l’exode, la perte d’identité…
Avec son style pictural inspiré d’Otto Dix, notamment, Leela Corman s’appuie sur de grandes cases marquantes, expressionnistes à l’extrême, au sein desquels quelques dialogues forts et une posture des corps suffisent à dire la peur, le dégoût ou la dépression. Magistral.
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