Vincent Sardon, des tampons à foison
Il a d’abord fait de la bande dessinée (Crevaison, Mormol), et de l’illustration — notamment pour Libération. Avant de s’adonner à la fabrication de tampons, qu’il vend sur son blog. Récemment honoré à BD à Bastia par le biais d’une exposition, Vincent Sardon, 43 ans, a publié deux beaux ouvrages à L’Association, Bons points modernes et Le Tampographe Sardon. « La vérité, c’est que je ne sais pas pourquoi je fais des tampons, explique-t-il en avant-propos de son dernier livre. C’est venu comme ça. Ça a poussé tout seul, ça a pris presque toute la place, ça a réduit en poussière tout ce que je faisais d’autre. » Nous avons toutefois creusé le sujet avec cet artiste étonnant, à la production amusante et assez fascinante.
Pourquoi les tampons ?
J’ai suivi des études d’art à Bordeaux, où j’ai appris la gravure. Là-bas, il y avait tout le matériel pour la taille douce, la gravure sur métal… Une fois mon cursus terminé, je me suis trouvé démuni, sans accès à tous ces outils. J’ai donc cherché à faire de la gravure sans presse, avec ce que j’avais à portée de main : du linoleum — mais ce n’était pas assez élastique —, des gommes… J’ai toujours été attiré par les techniques d’imprimeries primitives. Lorsque j’ai commencé à réaliser des bandes dessinées, j’avais du mal à dessiner le même personnage d’une case à l’autre, en le rendant reconnaissable. L’écueil classique du débutant… J’ai alors pensé à utiliser le tampon, mais ce n’était pas réaliste, ça n’aurait pas fonctionné. Au début, je m’en suis servi pour faire des fanzines que je vendais cinq francs à Angoulême. Cela me permettait de faire rire mes potes et de nous payer des bières.
Comment êtes-vous ensuite devenu « Le Tampographe » ?
J’hésitais entre plusieurs voies : la bande dessinée, le graphzine, l’illustration… J’ai d’ailleurs longtemps eu une activité de dessinateur de presse, notamment pour Le Monde et Libération. Mais le travail de commande m’emmerdait. Je trouvais violent de tordre son dessin pour le faire coller à une ligne éditoriale. En vieillissant, je suis devenu de plus en plus rigide, je me suis bloqué. Aujourd’hui je ne fais plus d’illustration à la demande, sauf pour la revue XXI, où je me sens libre. Le tampon m’a servi de soupape pendant tout ce temps, j’ai développé cette activité entre 1993 et 2005.
Comment votre pratique a-t-elle évolué ?
Au départ, je fabriquais mes tampons à la main, dans des gommes. Pour réaliser une image de 4 centimères par 6, il me fallait trois à quatre heures. Car je suis très méticuleux, et je choisis souvent des dessins compliqués… Ensuite je me suis procuré une machine, dont le procédé de fabrication de moules est proche de la sérigraphie. Cela m’a permis de vendre mon travail à des prix raisonnables, et de construire un modèle économique.
Comment ce dernier fonctionne-t-il ?
Je désire absolument maîtriser la chaîne de production de bout en bout, j’applique donc le même système de fonctionnement que celui d’un label indépendant : je suis le patron, de A à Z ! Il n’y a pas d’intermédiaire — Internet m’a permis cela. La contrepartie, c’est que je passe beaucoup de temps à faire de la réalisation, et peu à concevoir les choses. Une fois l’idée mûrie dans ma tête, je passe en général une journée à faire des recherches, puis je dessine à l’ordinateur. J’aime exécuter les choses rapidement.
Vous utilisez des produits chimiques de façon intensive, comment vous protégez-vous de leur toxicité ?
J’ai une hotte aspirante, et je me suis renseigné sur les maladies professionnelles des gens qui travaillent dans des vapeurs de caoutchouc. Certes, je ne porte pas de masque, mais je me surveille, je passe régulièrement des examens. J’ai appris l’existence d’un tampographe à New York, qui reproduit des images vintage. Je l’ai contacté, il a une soixantaine d’années, boit du whisky, et semble bien se porter !
L’humour se trouve-t-il au coeur de votre travail ?
Clairement, mes images visent à faire rire, à choquer un peu, notamment à travers la vulgarité et les injures. Je m’amuse avec un symbole du pouvoir, le tampon, qu’on associe plus couramment à des documents officiels. Sa force donne plus de poids à des choses purement esthétiques ou provocantes. On trouve dans ce que je fais le reflet de mes lectures d’adolescent, notamment Hara-Kiri. Je trouve à l’injure une certaine beauté, j’aime en réclamer à mes amis étrangers, dans différentes langues. j’en ai une belle collection de tous pays : par exemple « t’es con comme une clôture », une expression roumaine très belle, qui sent le nomade… J’aime aussi « que les corbeaux te bouffent les yeux », empruntée à la Corse.
Que font les gens de vos tampons?
Je ne sais pas trop. Certains les utilisent réellement pour se défouler via leur courrier, d’autres les collectionnent. Personnellement, je n’en fais rien, je les teste juste pour voir s’ils fonctionnent bien.
Quels sont vos projets ?
Un nouveau livre pour L’Association, autour de cartes et permis officiels — je précise que j’ai toujours refusé de faire de faux papiers, ce qu’on me réclame régulièrement. Je travaille aussi sur les jeux à gratter. Sinon, j’ai récemment emménagé dans un atelier plus spacieux, me permettant de travailler de plus grands formats. Mais aujourd’hui, je suis au maximum de ma capacité de production. Pas question de changer mon mode de fonctionnement, d’engager éventuellement quelqu’un, ou d’accepter des commandes. Je suis artiste et non entrepreneur. Et puis, comme je n’ai pas vocation à envahir le monde avec mes tampons, ça me va bien comme ça…
Pas de bande dessinée à l’horizon ?
Non, j’ai arrêté il y a longtemps. J’en lis peu — sauf les livres de quelques-uns, comme Riad Sattouf, Blutch ou Christophe Blain —, je sais comment c’est fabriqué et on ne me la fait plus… Et puis c’est un travail fastidieux et ingrat : il faut une sacrée hargne pour terminer un album ! Je peine à trouver cette énergie-là, comme si le dessin de presse m’avait stérilisé.
Propos recueillis par Laurence Le Saux
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Le Tampographe Sardon.
Par Vincent Sardon.
L’Association, 39 €, mars 2012.
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Images © L’Association.
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Je suis époustouflait, car j’ai habité en Espagne dans un hameau appelé Sardón, puis le premier livret manuscrit de poèmes que j’ai fait(en 64/65),j’avais inventé des tampons pour le valider.
Je comprend bien votre démarche en grande partie en autodidacte comme moi.
Salut et bonne chance Vincent
Noy
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