Trois personnages, Anton, Josu et Emmanuel, ont été acteurs de près ou de loin de la guerre civile au Pays Basque entre l’ETA, armée indépendantiste, et le GAL, groupe paramilitaire espagnol. L’un, orphelin d’un père tué par l’ETA 25 ans plus tôt, est hanté par des cauchemars. L’autre, son ami d’enfance et militant radical, est désormais en prison. Le dernier, ex-milicien du GAL habité par la culpabilité, tente de réfléchir à sa conduite passée…

Justement sélectionné au prochain festival d’Angoulême, Voir des baleines de l’auteur espagnol Javier De Isusi s’inspire de faits réels pour brosser les portraits de trois figurants, chacun incarnant une dimension du conflit basque, interrogeant ainsi l’origine de la violence pour la confronter à la nécessité de vivre pleinement son idéal politique ou son chemin de vie – la religion pour Anton, la prison pour Josu et Emmanuel. La narration focalise successivement sur chacun et croise lentement les points de vue pour former un dialogue stimulant. Nourris de regrets, hantés ou amers, les personnages de Isusi, sincères et touchants, se répondent par les souvenirs, se confrontent par leurs regards. En résultent des questionnements intéressants sur la politique, le militantisme, la religion à l’épreuve de la modernité, et des passages forts. Quand Emmanuel, en repenti, s’interroge en prison ou lorsque les baleines évoquent un horizon irrationnel. Des amis déchirés par la guerre, un deuil sans fin,  une violence destructrice… Faut-il pardonner ? Oublier ? Tenter de se racheter ? Les réponses restent en suspens, entre les aquarelles sobres et légères de jaune et de bleu, pour insuffler l’âme nécessaire à toute quête rédemptrice. Pour ne rien gâcher, Isusi évite de noyer le lecteur dans des détails factuels pour leur préférer une chronologie détaillée en fin de BD. Juste et maîtrisé du début à la fin. Très beau !