Morveuse
Chaque jour, chaque heure, Julia tente d’affronter ses démons. Son angoisse maladive, notamment issue de sa relation avec sa dépressive et castratrice de mère, la ronge. En premier lieu par le nez, qu’elle ne cesse de triturer, dès que le stress se fait sentir. Inscrite en cursus d’art, elle s’adonne de manière obsessionnelle à la gravure, autour des mêmes motifs – des scènes de la vie quotidienne entre une mère et sa fille qui tournent au gore grand-guignolesque. Julia essaye cependant de s’émanciper de cette relation toxique, et chercher à exister par elle-même, à fond. L’alcool, la drogue l’y aident, pense-t-elle. Et son investissement auprès d’activistes féministes aussi. Mais ses démons semblent, au contraire, se nourrir de ces expériences, jusqu’à l’entraîner vers la folie.
Morveuse est un album qui vous prend aux tripes, vous secoue, vous déstabilise en permanence. Car Rebecca Rosen colle aux basques de son héroïne paumée, tente de comprendre ses terreurs et ses obsessions, et dissèque d’un pinceau exubérant sa plongée dans la marginalité sociale et les syndromes psychiatriques. Avec en toile de fond, et ce n’est pas juste un décor, les questions de la fin de vie et du suicide assisté (accessible aux patients psy atteints d’une maladie incurable en Belgique, annonce-t-elle en préface du livre), des violences physiques et symboliques faites aux femmes et de la place de l’art et de l’artiste dans la société contemporaine. Autant de thèmes qui tourbillonnent autour de l’esprit fragile de Julia, formidablement mis en images dans un jeu de lignes, de couleurs et de superposition complexe et signifiant. Un trait fluide et souvent déformé à dessein, des mises en page recherchées brisant le carcan du gaufrier, des teintes subtiles jamais réalistes donnant une ambiance différente à chaque scène et, souvent, un effet d’ivresse. Le résultat est superbe et presque violent, en écho parfait à un scénario puissant. Pour son premier long récit en bande dessinée, Rebecca Rosen frappe un grand coup.
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